Le naufrage de Colbert en Islande

Grand reporter pour «Fortune» et «Time», auteur de «French Vertigo» (Grasset), Peter Gumbel tire les leçons de la quasi-faillite dans laquelle se trouve l'Islande, jusque-là considérée comme un modèle à suivre.

Tout le monde sait désormais que Nicolas Sarkozy veut remplacer «Bretton Woods» par «Boulogne Woods», un nouvel accord à la fois mondial et très français sur la réglementation de la finance internationale. Avant qu'ils ne plongent trop profondément dans les négociations, permettez-moi de conseiller très sincèrement à tous les participants potentiels de se baigner dans l'eau chaude géothermale de Reykjavik.

C'est une extraordinaire manière de se rafraîchir après une période très intense. Et comme l'Islande est devenue le premier pays victime de la crise, nécessitant un plan de sauvetage urgentissime de la part du Fonds monétaire international (FMI), c'est aussi une excellente façon de comprendre les enjeux et les risques de la politique financière. La première grande leçon à tirer de la crise islandaise est que, si vous êtes un petit pays, qui plus est ayant votre propre monnaie, il est préférable d'éviter de jouer dans la cour des grands de la finance.

Depuis leur privatisation cinq ans auparavant, les trois banques islandaises avaient tellement grandi que les actifs en juin 2008 représentaient plus de dix fois le PIB du pays. Quand la grande crise a éclaté en septembre après la mort de Lehman Brothers, les trois ont fait faillite dans une véritable implosion financière qui pèse lourdement sur la réputation du pays et sur son économie. Pour 2009, on attend une chute du PIB de l'ordre de 10%, et l'endettement national brut va grimper à plus de 100% du PIB. La Belgique aurait connu un destin similaire si elle n'avait pas eu l'euro comme monnaie. Et si elle a pu éviter une crise de change, elle a quand même «perdu» deux de ses banques, Fortis et Dexia. Les Belges ne jouent donc plus sur la scène de la finance internationale, et tant mieux pour eux.

Pour les Irlandais, les Danois, les Estoniens et de nombreux autres, c'est le moment d'oublier le rêve de la puissance financière. Il serait préférable de se contenter d'une sidérurgie florissante ou d'un secteur laitier de qualité. On peut même se demander si la Grande-Bretagne et la Suisse ont la force financière nécessaire pour maintenir à flot des grandes banques internationales.

La deuxième leçon est qu'il faut davantage apprécier l'indépendance de la Banque centrale européenne ainsi que la précision et la capacité critique de son gouverneur Jean-Claude Trichet. Même si on n'est pas toujours d'accord avec lui, il a au moins prouvé sa capacité à ne pas céder à la pression politique de Paris ou d'ailleurs. A Reykjavik, en revanche, David Oddsson, gouverneur de la banque centrale islandaise, fut Premier ministre durant treize ans et mit en place la libéralisation du secteur financier de l'île. Dans son nouveau rôle à la tête de la banque centrale, il s'est avéré incapable de prendre de la distance avec cette politique ni de prendre au sérieux les avertissements de nombreux experts internationaux sur les menaces planant sur son pays. La tragédie d'Islande est donc devenue la sienne.

La troisième leçon est que la gouvernance politique de l'économie, une idée très sarkoziste, crée plus de problèmes qu'elle n'en résout. En Islande, le gouvernement a commis plusieurs erreurs dans la gestion du secteur bancaire avant et pendant la crise. Erreurs qui n'ont fait qu'empirer la situation. Au moment de la privatisation, les banques ont été vendues selon des critères politiques à des jeunes gens ne possédant aucune expérience dans la finance. Ces nouveaux entrepreneurs sont ensuite devenus des héros, aidés et encouragés par un Etat devenu aveugle aux vrais risques. Au lieu de les freiner, on a facilité leur expansion internationale et leur capacité effrayante à s'endetter. Pourquoi?? Parce qu'on était fier de ses champions nationaux, ses Vikings de la finance.

Ce colbertisme islandais a échoué. Maintenant qu'il faut régler la facture, on se rend compte que l'argent s'est envolé et les jeunes entrepreneurs aussi, dans leurs jets privés. Mais les dettes restent, et seront à payer par plusieurs générations. On ne sera donc pas surpris de constater une colère colossale parmi la population, une colère à la fois inhabituelle dans ce petit pays mais tout à fait justifiable.

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Commentaires 3
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Pouvez-nous donner un exemple précis où la gouvernance politique due au sarkosisme a créé plus de problèmes qu'elle n'en a résolu ?

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Article rafraîchissant et édifiant qui contraste avec le politiquement et économiquement correct ambiant.Il faut méditer l'incompatibilité entre le temps politique et le temps économique.

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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1/Colbert ne faisait pas dans la finance mais dans la manufacture, donc en Islande dans la conserve de poisson, ce à quoi ils vont se remettre! 2/Si les banques américaines étaient aussi "administrées" que les françaises, on en serait pas là. 3/Tou...

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