Les défis de la nouvelle Autorité de la concurrence

Par David Spector , professeur associé à l'Ecole d'économie de Paris.

Depuis le 13 janvier 2009, l'Autorité de la concurrence remplace le Conseil de la concurrence. Créée il y a vingt-deux ans, cette institution avait pris progressivement une place centrale dans la vie économique. Elle a contribué à diffuser une culture de la concurrence jusque-là bien faible, tant la cartellisation d'avant-guerre et le dirigisme d'après-guerre avaient fait oublier que la concurrence est dans une grande mesure une idée d'origine française, promue par Turgot puis par les révolutionnaires.

La nouvelle autorité sera dans la continuité de l'ancienne mais elle disposera de pouvoirs supplémentaires, parmi lesquels le contrôle des concentrations (jusque-là prérogative exclusive du ministre des Finances, qui conservera cependant un droit de veto dans le nouveau dispositif), ainsi que la capacité de s'auto-saisir pour rendre des avis sur des questions de politique économique générale en rapport avec la concurrence.

Cet élargissement s'inscrit dans la continuité de deux évolutions récentes. Tout d'abord, la dérégulation de nombreux secteurs comme les télécommunications, l'énergie, ou les transports. Ainsi une plainte d'un fournisseur alternatif qui accusait EDF de pratiquer un "ciseau tarifaire" entre prix de gros et prix de détail a conduit le Conseil de la concurrence à rendre en 2007 une décision structurante pour le marché de l'électricité, qui précise les conditions auxquelles EDF doit céder de l'électricité à ses concurrents sur le marché de gros afin de permettre à la concurrence de fonctionner sur le marché de détail.

L'autre évolution marquante de ces dernières années est le rôle croissant de l'analyse économique. Après la Commission européenne en 2003, le Conseil de la concurrence a mis en place en 2007 une cellule économique dont le rôle consiste à compléter la qualification juridique des pratiques litigieuses par une analyse économique de leurs effets. En matière de contrôle des concentrations, la Commission européenne s'est ainsi affranchie d'une appréciation mécanique fondée sur l'examen des seules parts de marché, pour privilégier une approche plus fine, tenant compte des caractéristiques spécifiques de chaque marché.

Cette inflexion conduit parfois la Commission à autoriser des concentrations malgré des parts de marché élevées si l'absence de barrières à l'entrée, le positionnement respectif des différentes entreprises ou le pouvoir des acheteurs suffisent à garantir que la concurrence continuera à bien fonctionner. L'inverse est aussi possible, lorsqu'une concentration risque de faire disparaître une entreprise dont le rôle moteur pour la concurrence est incommensurable à sa taille modeste.

Mais cette double évolution, que le Conseil de la concurrence a très efficacement dirigée et accompagnée, soulève aussi des problèmes nouveaux auxquels la jeune autorité devra faire face. Sur le plan institutionnel, la frontière risque d'être parfois floue entre son rôle, qui se limite en principe (en dehors des concentrations) à la sanction a posteriori des pratiques anticoncurrentielles, et celui des autorités de régulation, qui interviennent en amont pour structurer les marchés, dans l'énergie et les télécommunications notamment.

Par ailleurs, le rôle croissant de l'analyse économique, s'il améliore la qualité des décisions, pose un problème de sécurité juridique. La décision récente annulant à titre conservatoire l'exclusivité dont bénéficiait Orange pour distribuer l'iPhone d'Apple illustre cette tension. Le conseil a considéré, au terme d'une analyse économique, que cette exclusivité contribuerait à figer le marché de la téléphonie mobile considéré comme déjà trop rigide au départ. Au contraire, Orange avait sans doute estimé qu'à la lumière de la jurisprudence, l'exclusivité serait validée en raison de la faible part de marché du produit concerné.

On arrive ici au c?ur du dilemme de toute politique de la concurrence. Il s'agit en effet d'éviter deux écueils. L'application mécanique de règles purement formelles, sans analyse économique, peut conduire à des décisions aberrantes. Au contraire, la primauté absolue d'une analyse économique au cas par cas risque de diminuer la prévisibilité des décisions, alors que la politique de la concurrence - à la différence de la politique économique générale - consiste à appliquer une règle de droit. Il appartiendra à la nouvelle autorité de naviguer au mieux entre les deux exigences, parfois contradictoires, de la pertinence économique et de la sécurité juridique.
 

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