Ces signes que nous n'avons pas su voir

Par André Babeau, Associé au Bipe.

Depuis plusieurs années, certes, les économistes dénonçaient les "déséquilibres globaux" qui menaçaient l'économie mondiale : insuffisance d'épargne au Nord, accumulation importante de réserves au Sud et spécialement en Chine, en Arabie Saoudite et au Japon. Mais le constat souvent s'arrêtait là et l'on ne s'interrogeait guère sur les causes ou conséquences plus précises de ces déséquilibres en ce qui concerne les comportements des différents agents économiques. Un peu plus de curiosité nous eût conduits plus près de l'épicentre de la crise apparue en août 2007 et nous eût alors peut-être permis d'y échapper.

Un premier indicateur aurait dû retenir notre attention. Depuis plusieurs années, aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans quelques autres pays avancés, les ménages avaient une épargne qui avait beaucoup fondu, mais leurs investissements (principalement dans le logement) étaient restés à des niveaux élevés, supérieurs au montant même de cette épargne. Ils avaient donc fait apparaître un "besoin de financement" ; en effet de miroir, du point de vue financier, cette situation se traduisait par le fait que le montant annuel de leurs nouveaux placements financiers était devenu inférieur à l'augmentation de leurs dettes. Il s'agit là, historiquement, d'un "cas de figure" très rare, révélateur d'une croissance tout à fait déséquilibrée. Aux États-Unis, comme au Royaume-Uni et dans certains autres pays encore, on assistait, grosso modo depuis le début du siècle, à une forte croissance du patrimoine des ménages (net d'endettement) qui, pratiquement, ne reposait plus sur leur épargne, mais sur les seules augmentations de prix des actifs mobiliers (actions) et, surtout, immobiliers (logement). Quant à leur patrimoine brut d'endettement, il augmentait plus vite encore, propulsé non seulement par les hausses de prix d'actifs, mais aussi par le très large recours à l'endettement : le rapport du patrimoine au revenu a alors atteint des niveaux extrêmement élevés qui auraient dû intriguer.

Mais les arbres ne montent pas jusqu'au ciel, nous aurions pu nous douter que nous étions dans une situation explosive. En effet, l'évolution des prix sur les marchés des biens de consommation est "auto-équilibrante" : une augmentation de prix accroît l'offre et réduit la demande, ce qui conduit à stabiliser les prix. Au contraire, les marchés de biens, qui constituent des actifs prenant place dans les patrimoines (logements, actions), sont "auto-déséquilibrants" : une hausse des prix y accroît la demande qui anticipe la hausse de prix suivante. Et ainsi de suite, jusqu'à ce que les anticipations changent. Aux États-Unis, le changement a été provoqué par les difficultés de remboursement rencontrées par des propriétaires à faible revenu confrontés à de lourdes augmentations de leurs mensualités. On s'est alors attendu à d'importantes reventes de logements et les prix de l'immobilier se sont brutalement retournés.

On connaît la suite. Des prix de logements qui ont baissé en moyenne de plus de 25 % en un an, d'où une nette diminution de la valeur globale des patrimoines, une hausse rapide du taux de défaut des crédits hypothécaires garantis par des logements dont la valeur chute, l'arrêt de la pratique de la "titrisation" et l'effondrement du crédit. C'est alors seulement que l'on a commencé à observer, au deuxième trimestre de 2008, une certaine remontée du taux d'épargne des Américains, mais cette remontée, hélas, intervient maintenant à contretemps. En réduisant la consommation, elle risque en effet de faire plonger l'économie du pays. D'où les efforts des autorités pour relancer le crédit, ce qui permettra peut-être de freiner la hausse du taux d'épargne des ménages.

Il aurait naturellement fallu que cette hausse se produisît beaucoup plus tôt, au moins, progressivement, à partir de 2005. Si les économistes, de leur côté, avaient mis davantage l'accent sur le caractère pathologique de la croissance des patrimoines dans les pays à recours débridé au crédit, ils seraient peut-être parvenus à rendre plus prudents les différents acteurs et à attirer l'attention des banques centrales sur l'importance primordiale de maîtriser l'évolution des prix d'actifs. Cela nous aurait sans doute évité un immense gâchis.

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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L'analyse est bonne mais le titre aurait du être "Ces signes que nous n'avons pas voulu voir". Pourquoi ? Parce que beaucoup ont tiré profit de cette situation en s'enrichissant au delà de l'imaginable en sachant que le système était intenable. Une ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Allons donc, il y a des analystes qui l'ont vue arriver cette crise. Nouriel Roubini, Chronique Agora, Europe 2020... Mais oui, il y avait trop de gens qui s'enrichissaient sur ce système aux fondations pourries. Aujourd'hui c'est le citoyen qui renf...

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