Une Autorité bien nommée

Par Dominique Brault, avocat (Herbert Smith LLP).

Certaines des dernières procédures du Conseil de la concurrence auront montré combien est justifié son nouveau nom (1). Cela est illustré par le succès remarquable que connait la procédure d'acceptation d'engagements prévue au I de l'article L. 464-2, deuxième alinéa, du Code de commerce : même de très grandes entreprises en viennent à privilégier ce mode de régulation négociée par rapport à des procédures contentieuses qui sont devenues très lourdes de conséquences.

Déjà en 2007, le Conseil de la concurrence avait, par deux décisions (2) faisant suite à la plainte d'un concurrent d'EDF, Direct Energie, amené l'opérateur historique à prendre des engagements, s'épargnant ainsi les affres d'une procédure répressive (3).

Dans une décision du 7 octobre 2008, relative au marché de l'ingénierie, du conseil et du contrôle technique d'installations téléphoniques, France Télécom avait pris des engagements très précis pour répondre à des "préoccupations de concurrence" qu'avait exprimées le rapporteur du Conseil de la concurrence à propos de certaines de ses pratiques. France Télécom a choisi de négocier des concessions aux exigences du Conseil plutôt que de s'exposer aux risques d'une procédure pour abus de position dominante.

On s'attend à ce que soit prochainement prise suivant la même procédure une décision impliquant un autre grand opérateur historique. Au début de janvier 2009 le Conseil a lancé un test de marché pour recueillir des réactions sur des engagements proposés par EDF. En faisant cette proposition, EDF a d'ores et déjà clairement reconnu l'autorité que s'est acquise le Conseil de la concurrence.

Il faut vraiment que cette autorité et la crainte de ses décisions contentieuses soient grandes pour qu'une entreprise aussi puissante qu'EDF se prive de recours à des techniques de promotion commerciale et de gestion qui sont co,illusurantes et normalement admises.

Qu'une société-mère prête du personnel à une filiale est banal. Que cette filiale utilise des informations dont dispose la société-mère est tout aussi courant.
C'est pourtant à de telles facilités qu'EDF a renoncé pour faire classer une plainte de concurrents de ses filiales productrices d'énergie solaire. Le Conseil de la concurrence trouvait cette plainte irrecevable parce qu'insuffisamment étayée. Il ne se sentait donc pas fondé à notifier des griefs à l'opérateur historique. C'est pourquoi il s'est borné à exprimer en séance de simples "préoccupations de concurrence", ce qui est une sorte d'invitation à suivre la procédure d'acceptation d'engagements.

EDF aurait pu prendre le risque de ne rien faire dans l'attente d'une éventuelle mais improbable notification de griefs. Si à la suite d'une évaluation préliminaire une entreprise prend des engagements, leur exécution est obligatoire. Par contre, elle n'est pas obligée de prendre des engagements. Le communiqué de procédure du Conseil de la concurrence (4) n'est pas très explicite sur ce point. Il y est seulement écrit que cette procédure permet à l'entreprise de "contribuer volontairement" à la recherche de solutions appropriées aux préoccupations de concurrence identifiées. Si donc une entreprise prend des engagements, c'est qu'elle a quelque doute sur la conformité avec la loi des pratiques en cause ou que, malgré la certitude de ne pas avoir enfreint la loi, elle craint de voir le Conseil (aujourd'hui l'Autorité) passer outre ses propres hésitations et notifier des griefs.

En l'espèce, il semble qu'EDF ait préféré prendre au sérieux le risque, aussi réduit soit-il, d'une procédure susceptible de déboucher sur une qualification d'abus de position dominante. Ce choix est significatif de l'attention portée désormais par les plus grandes entreprises aux froncements de sourcils de l'autorité régulatrice de la concurrence.

Il n'y a pas si longtemps, il n'était recouru à la procédure d'acceptation d'engagements que pour régler des dossiers dans lesquels la qualification d'entente ou d'abus de position dominante était pour le moins incertaine et qui soulevaient des difficultés conceptuelles disproportionnées à l'importance des enjeux, par exemple à la croisée des droits de la concurrence et de la propriété intellectuelle. Désormais on voit que même de puissants opérateurs Dohistoriques sont attentifs et réactifs à de simples signaux que leur envoie le Conseil de la concurrence.

C'est une heureuse évolution, tant qu'elle ne conduit pas à écorner la présomption d'innocence. Il n'y aura peut être plus de raison de poursuivre l'impressionnante augmentation des sanctions pécuniaires maintenant que, même dans le doute, de très grandes entreprises reconnaissent l'autorité du régulateur au point de se conformer "volontairement" à ses vues.
 

 

(1) Le Conseil de la concurrence a fait place à l'Autorité de la concurrence
(2) 07-MC-04, 28 juin 2007, et 07-D-43, 10 décembre 2007
(3) Le risque était réel ; la pratique en cause, celle du ciseau tarifaire, avait auparavant été rigoureusement sanctionnée lorsque France Télécom (Wanadoo) s'y était livré (04-D-73, 21 décembre 2004)
(4) 3 avril 2008

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