Financer la "conversion verte"

Par Pierre Jonkheer, Alain Lipietz et Claude Turmès, députés européens (Verts), de Belgique, France et Luxembourg.

Cela ne redémarre pas. La "relance" bancaire a échoué. La crise financière revient en boomerang sur l'économie réelle. Que faire ? En fait, cette crise est partie du "réel". Les salariés pauvres américains, asphyxiés par la montée vertigineuse des prix alimentaires et de l'énergie, n'ont pu rembourser les prêts "subprimes". Leur déroute a mis en faillite toute l'"économie-casino".

Depuis deux ans, les banques centrales refinancent par centaine de milliards les titres de plus en plus "toxiques". Mais cet argent ne sert qu'à retenir les banques au bord du gouffre. Les prêts à l'économie réelle se font de plus en plus difficiles. C'est pourquoi le président Obama aurait souhaité du G20 un effort budgétaire mondial ciblé sur la reconversion vers le développement soutenable. Car il ne servirait à rien de "relancer" le modèle en crise.

Et l'Europe ? Elle est impuissante à faire plus qu'une vague coordination de vingt-sept plans nationaux. Ici éclate la faiblesse structurelle de l'Union, confédération régie par le traité de Nice. Le budget communautaire pèse 1% du produit brut européen. Le plan spécifiquement européen décidé en décembre se limite à... 5 milliards d'euros ! Une misère.

Pourtant, l'Union européenne dispose d'un levier financier puissant, capable d'irriguer directement une reconversion ciblée, écologiste, de l'appareil productif : transports en commun, isolation des logements, production d'énergies renouvelables (éolienne, hydraulique, solaire...), petites entreprises éco- innovantes.

Ce bras financier, c'est la Banque européenne d'investissement (BEI), totalement immune de la crise financière, pesant déjà deux fois et demie la Banque mondiale. Dès lors, une nouvelle combinaison de l'action de la Banque centrale européenne et de la BEI peut formidablement démultiplier, immédiatement, sans attendre les "Etats-Unis d'Europe", ces 5 pauvres milliards d'euros.

Le problème de la conversion écologiste de nos économies est en effet que ses acteurs sont d'une part des collectifs (collectivités territoriales qui investiront dans les réseaux de transports en commun, sociétés HLM ou associations de copropriétaires en charge d'isoler et "solariser" les immeubles), et d'autre part des petites entreprises écotechnologiques innovantes ne disposant pas du "trésor de guerre" des multinationales. Ces acteurs de la conversion ont besoin de crédits, et à taux zéro : quand on investit pour la planète et les générations futures, on pose que le futur a autant de valeur que le présent. Les projets existent, les plans sont là, manque le financement.

Ce financement, la BEI peut le fournir. Il suffit pour cela qu'elle prête directement aux agents et qu'elle se refinance auprès de la Banque centrale européenne. Celle-ci, qui s'est résignée à refinancer les titres toxiques des banques et des Etats (de plus en plus endettés), ne pourra trouver que des avantages à émettre de la monnaie en faveur d'une institution aussi solide que la BEI. Et ce pour des projets ayant immédiatement un effet productif (donc non inflationnistes) et qui, en réduisant la dépendance énergétique de l'Europe et les risques climatiques, assure à terme un développement financièrement et écologiquement soutenable.

Encore la Banque centrale exigera- t-elle de la BEI des garanties plus solides que ses actuels fonds propres, et ne pourra-t-elle prêter qu'à son taux le plus bas. C'est ici que nous retrouvons nos 5 malheureux milliards. Qu'ils abondent un fonds de garantie et de prise en charge des intérêts des prêts "verts" de la BEI, sous contrôle parlementaire. C'est environ 200 milliards que la BEI pourra prêter à taux zéro ! On change d'échelle. Et ce mécanisme pourrait être encore élargi, notamment grâce à la mise aux enchères des quotas d'émissions de gaz à effet de serre.

Parmi la multitude de projets qui n'attendent que le financement, les plus rapides à mettre en ?uvre sont les myriades de chantiers d'isolation des logements et les centaines de milliers d'investissements décentralisés dans les énergies renouvelables. Ils mettront au travail une quantité considérable d'artisans et de petites entreprises. La vraie limite sera plutôt du côté de la main-d'?uvre bien formée immédiatement disponible !

Certes, les effets sur la qualité de vie des plus démunis n'apparaîtront qu'à terme, par les économies sur les charges locatives et le coût des déplacements, sauf si l'on en profite pour lancer de grands plans de formation professionnelle rémunérée, qui leur seraient destinés. Car c'est aujourd'hui qu'ils sont frappés par la remontée du chômage qui vient s'ajouter à la précarité qu'ils connaissent depuis un quart de siècle. Mais cela ne fait que pointer la nécessité d'une Europe sociale, c'est-à-dire de la hausse coordonnée des droits sociaux et des revenus minimaux à l'intérieur de l'Europe. Autre chapitre tout aussi nécessaire qui n'exige pas, lui, de financements publics, mais un partage de la richesse produite.

Oui, l'Europe, même en l'état, apporte un plus, et plus d'Europe apportera encore plus. Alors, commençons tout de suite.

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Très intéressant, merci.

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