Régulation ou bureaucratie : Bruxelles doit choisir !

Par Bernard Attali, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, ancien président d'Air France, "senior advisor" de TPG Capital.

Il est clair que la crise exige une remise à plat des mécanismes de régulation du monde financier. Certes, le G20 aurait été mieux inspiré en mettant la relance économique et l'avenir du système monétaire international au centre de ses réflexions plutôt que de laisser le débat s'éterniser sur une future régulation qui mériterait de toute façon d'être longuement pesée.

Mais personne ne peut nier que les règles du jeu doivent être revues dans de nombreux domaines (agences de notation, pratiques bancaires, "hegde funds", normes comptables, etc.). Encore faut-il le faire avec discernement et, comme disait Montesquieu parlant des lois, n'y toucher que d'une main tremblante. A défaut, non seulement l'incendie de forêt continuera ses ravages, mais on empêchera aussi tout arbre de repousser.

S'il fallait un exemple à ne pas suivre, le dernier projet de directive de la Commission sur les gérants de fonds d'investissement alternatifs en est un. En recouvrant d'un vocable vague et uniforme des acteurs aussi différents que les gestionnaires d'actifs, les "hedge funds", les acteurs du "private equity" et les investisseurs en capital-risque, les auteurs du texte en débat semblent hésiter entre bureaucratie et régulation. Un comble de la part d'experts naguère si attachés au dogme libéral.

On n'entrera pas ici dans le détail du projet, mais sa lecture montre une inquiétante méconnaissance des réalités du marché. Exiger des règles de publicité exhaustives et identiques à certaines entreprises (uniquement parce qu'elles sont la propriété de tel ou tel type de fonds) tout en exonérant de ces obligations le reste du tissu économique, c'est faire fi des principes de base d'une concurrence normale. Imposer des exigences de capital minimum aux fonds de "private equity" disposant de liquidités d'origine européennes alors que les "family offices" ou les fonds souverains en seraient exonérés, c'est pénaliser sans raison toute une industrie qui n'a eu en fait aucune responsabilité dans la crise actuelle.

Quelle logique y a-t-il d'ailleurs à demander de telles garanties à un apporteur de capital en fonds propre ? Pis : comme les règles envisagées ne seraient pas applicables aux fonds qui n'auraient pas d'investisseurs européens à leur tour de table, on inviterait ces acteurs à se localiser à Zurich, Genève ou... Dubaï, et on pénalisera le recyclage des liquidités européennes... en Europe ! Au moment même où les Etats-Unis, via le plan Geithner de rachat des actifs toxiques, s'appuient sur ces fonds pour assainir les bilans des banques américaines. Une fois encore, les règles du jeu seront différentes de part et d'autre de l'Atlantique et pas à l'avantage de l'Europe !

De plus, les auteurs du projet de directive n'ont pas fait de détail : le texte est en effet applicable indistinctement à plusieurs centaines de fonds et à plusieurs milliers d'entreprises de nature très différente les unes des autres !

Soyons sérieux : les fonds de "private equity" ne sont pas une partie du problème mais peuvent être au contraire une partie de la solution. Comme l'a souligné le rapport Larosière, ils ne font courir aucun risque systémique (critère fixé par le G20 pour tout renforcement de la régulation). Au moment où le système bancaire a drastiquement réduit son rôle de fournisseur de liquidités, au moment où toute nouvelle émission en Bourse est quasiment impossible, ce sont au contraire les fonds de private equity qui peuvent aider à relancer la machine, notamment grâce au soutien d'entreprises en difficulté.

Lorsque nous avons dû, dans les années 1980, reconvertir à marche forcée le tissu industriel du Nord et de la Lorraine, le patron de la Datar que j'étais alors aurait bien aimé disposer de tels interlocuteurs professionnels. Les désigner maintenant comme boucs émissaires et les paralyser par un excès de zèle réglementaire ne correspond en fait à aucune priorité rationnelle.

Il faudrait que la Commission tire une leçon plus générale de cette affaire mal engagée : toute révision du système de régulation n'aboutira que s'il est le fruit d'un dialogue constructif entre les experts de Bruxelles et les acteurs professionnels concernés. Ce dialogue semble avoir été pour le moins insuffisant dans le cas d'espèce.

En bref, il a fallu beaucoup d'erreurs pour aboutir à la crise actuelle. Il serait navrant que les tentatives de remède en déclenchent de nouvelles. En matière financière aussi, l'enfer est pavé de bonnes intentions...

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Désolé pour "La Tribune", mais pourquoi ne pas fonctionner dans un monde sans spéculations, dans un monde où l'argent ne serait gagné QUE PAR le fruit du travail (matériel/services/industrie..) et non par des météorologostes de la finance . Pourquoi ...

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