Tout changer pour que rien ne change !

Cet article reprend le thème de la troisième université des Gracques organisée demain à l'Ecole normale supérieure. Les Gracques sont un groupe de réflexion lancé en 2007 par d'anciens membres de cabinets de gauche, soucieux de promouvoir une modernisation de la gauche et du centre gauche. De nombreuses personnalités interviendront autour du nouveau contrat social dans le monde et la France de l'après-crise (*).

La crise financière devenue crise économique et de plus en plus sociale a révélé l'échec du modèle de croissance dont on avait tant vanté les mérites pendant plus d'une décennie, un modèle fondé sur une confiance exagérée dans les mécanismes de marché et dans leur capacité d'autorégulation, une croissance fondée sur le gonflement indéfini de la dette et des déséquilibres internationaux. Il n'est plus tabou de s'interroger sur l'utilité de l'innovation financière dont une part, une trop large part doit-on constater, a constitué un exercice futile sur le plan de l'efficacité économique mais diabolique quant à ses conséquences sur la répartition du revenu national.

Faute de créer de nouvelles sources de richesse comme l'ont fait tous les innovateurs dont le nom est passé à l'histoire, de Thomas Edison à Bill Gates, et brutalement mise à nu par ses résultats calamiteux, l'innovation financière apparaît pour ce qu'elle est, un moyen très sophistiqué d'extraire une rente au détriment des autres agents économiques. C'est ce que l'on a vérifié dans les statistiques qui montrent aux États-Unis la stagnation du revenu médian et l'explosion des revenus les plus élevés concentrés à Wall Street.

L'idée consistant à réformer cette forme de capitalisme s'est donc assez naturellement imposée. Le président de la République s'est saisi du thème dans son discours de Toulon il y a un an, la chancelière allemande aussi, qui a remis au goût du jour les vertus de l'économie sociale de marché, et même le patron de l'autorité de supervision financière à Londres, lord Turner, c'est dire. Ce constat a plusieurs dimensions. Sur le plan social et politique, il oblige à reconsidérer l'équation liant efficacité de l'économie de marché et équité dans la distribution des revenus. Comme l'a dit lord Turner, la rhétorique associant la pratique du libre marché à une performance économique supérieure n'est plus guère à l'ordre du jour dans une Grande-Bretagne qui a dû nationaliser son système bancaire pour éviter la catastrophe ! Aux Etats-Unis, Goldman Sachs est dénoncé comme un "vampire" qui suce le sang de l'économie réelle !

Le populisme guette et les démocraties occidentales, clairement, ont le devoir de redéfinir les termes du contrat social. Sur le plan strictement financier, par ailleurs, l'expérience nous invite à conclure que des marchés liquides et imparfaitement régulés ont une fâcheuse tendance à surréagir et à générer des bulles aux conséquences potentiellement désastreuses lorsqu'elles éclatent ; l'opacité des transactions et des produits est mise en cause, on s'aperçoit par exemple que la dispersion des risques que procure la titrisation n'a été qu'une illusion et que sa pratique inconsidérée a au contraire amplifié des risques devenus systémiques ; finalement, on redécouvre que le marché n'est efficace que lorsque la transparence et la sécurité des transactions sont assurées.

Mais, aujourd'hui, on fait face à une sorte de paradoxe : une reprise conjoncturelle, encore bien incertaine, des marchés financiers qui ont repris des couleurs et des bonus extravagants qui sont de retour. Mais parler de l'après-crise, n'est ce pas prématuré ? A première vue, les gouvernements régulièrement réunis en G20 semblent avoir tiré de ce qu'ils ont traversé une leçon simple : le capitalisme a besoin de règles. Oui mais, dès qu'on entre dans le détail, on voit bien qu'il n'y a pas consensus. Le sommet de Pittsburgh l'a démontré en permettant de faire un premier bilan des réformes engagées. Certes, quelques progrès ont été accomplis en matière de paradis fiscaux, dont personne n'a jamais considéré qu'ils étaient au c?ur de la crise. En matière de rémunération, c'est plus important mais on voit que les résultats restent bien timides. En matière de fonds propres ou de supervision aussi, mais là les dissensions restent très importantes.

En fait, ce qui domine, c'est l'ampleur des points en suspens : non seulement on fait trop peu mais on s'enfonce même parfois dans la mauvaise direction en matière de hedge funds, de normes comptables, dont les effets procycliques sont pourtant avérés, ou de produits dérivés non standards. Sans parler de l'assurance tous risques donnée aux plus grands opérateurs financiers simplement protégés par leur taille car "too big to fail" ? La question à poser ici ne devrait-elle pas plutôt être : "too big to exist ?"

En tout cas, avec la reprise, on peut craindre que l'énergie réformatrice soit déjà affaiblie et que l'on se contente, par facilité, de satisfactions rhétoriques. C'est évidemment un scénario dont tous ceux qui réfléchissent à l'avenir de notre modèle socio-économique ne sauraient se satisfaire. Le danger qui menace, c'est finalement de donner l'impression que "tout change... pour que rien ne change" ; c'est à cela que l'on ne peut se résigner. Voilà en tout cas pourquoi les Gracques, qui avaient dès le début de la crise proposé des reformes en matière de régulation, de rémunération et de transparence, persistent et signent demain à l'occasion de leur université.

 

(*) "Tout changer pour que rien ne change ?" Troisième université des Gracques, samedi 28 novembre 2009 à l'Ecole normale supérieure. Avec la participation de Jacques Attali, François Bayrou, Manuel Valls, Mario Monti, Erik Orsenna, Jean-Pierre Jouyet, Lionel Zinzou. Entrée libre. Pour en savoir plus : informations et inscriptions sur le site www.lesgracques.fr

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