La politique industrielle sans tête

Nicolas Sarkozy doit présenter ce mardi les investissements prioritaires pour l'avenir de la France, financés par le grand emprunt. Mais les interrogations sur la lisibilité de la politique industrielle de la France se multiplient : interventions tous azimuts de l'Elysée, priorités définies avant même la fin des Etats généraux de l'industrie. Quelle est la vision sur ce que doit être l'industrie française demain ?

Notre président de la république, on le sait, aime faire des coups. Retour de l'Etat au capital des ex-Chantiers de l'Atlantique au coté du coréen STX en faisant miroiter un rapprochement avec DCNS, annonce d'une reprise du carrossier Heuliez par Bernard Krief Consultant, mais aussi vente forcée au groupe Dassault des 20% de Thalès que détenait Alcatel, nomination d'Henri Proglio à la tête d'EDF, redécoupage industriel forcené en obligeant Areva à revendre T&D au tandem Alstom-Schneider, etc... Certes, il n'est plus le seul à agir ainsi, puisque même le gouvernement allemand, qui dénonce régulièrement le patriotisme économique de la France, a tout tenté pour faire reprendre Opel par des capitaux amis.

Mais comment lire dans l'activisme de l'Elysée les grandes lignes de la politique industrielle de la France ? Sauver Heuliez à tout prix ne relève plus de la stratégie de maintien des centres de décision industriels en France. Où donc se cache l'Etat stratège ? Et surtout comment articuler ces interventions tous azimuts avec d'un coté, les Etats généraux de l'industrie lancés par le ministre de l'industrie, Christian Estrosi ? Et de l'autre, les investissements prioritaires dans le numérique, la voiture du futur, les énergies vertes et la science du vivant, en un mot l'industrie de demain ? Que le président français ne prenne pas la peine d'attendre les conclusions à la fin janvier des Etats généraux de l'industrie, pour annoncer, ce mardi, ses grandes priorités pour la France de demain montre bien que la coordination de ses actions dans une vision englobant la totalité des leviers de l'Etat est le cadet de ses soucis. "A force de faire des coups déconnectés les uns des autres, tout ceci est devenu parfaitement illisible", résume Gilles Leblanc, de l'Ecole des Mines de Paris.

Pourtant, c'est avec une vision plutôt moderne de l'industrie que l'on orchestre les Etats généraux de l'industrie au ministère : une vision transversale des grands enjeux et de l'organisation du travail, une approche décloisonnée de l'innovation, une écoute des acteurs de terrain pour sortir des constructions technocratiques, une amorce de réflexion sur l'efficacité réelle des 60 milliards d'aides aux entreprises, etc. Bref, il y a beaucoup de bonnes intentions. S'ils n'étaient enfermés dans ce calendrier ridicule vu la complexité qu'il y a à élaborer une politique industrielle digne de ce nom, on pourrait raisonnablement espérer qu'il en sorte quelque chose. "Une politique industrielle, c'est un objectif, un horizon de long terme, une vision, précise Gilles Leblanc. Elle doit être prévisible et généralisable, et ne pas donner lieu à des interventions aux raisons obscures."

Seulement, l'inconstance des décisions n'aide pas à la visibilité. On attend toujours l'arrivée des fonds chez Heuliez, le rapprochement avec DCNS qui devait assurer le plan de charge du site de Saint Nazaire, et la nouvelle stratégie de Thalès sous la double tutelle de l'Etat et de Dassault : les grandes annonces se révèlent avoir été étrangement déconnectées de l'analyse des fondamentaux. D'où ce flottement persistant dans leur mise en ?uvre.

Et l'on finit par prendre des décisions ubuesques. Areva ? "Après deux ans d'atermoiements, on laisse partir le grand partenaire historique Siemens dans les bras du russe Atomenergoprom, avec trois conséquences dont on n'a pas encore pris toute la mesure, déplore Jean-Louis Levet, auteur de "Pas d'avenir sans industrie" : on laisse passer l'occasion de créer un Airbus du nucléaire, on crée un nouveau concurrent à Areva avec lequel il va devoir compter ; enfin, on impose à Areva, au moment même où il a plus besoin de capitaux pour financer le retard de l'EPR finlandais, de débourser 2 milliards d'euros à Siemens pour ses 34% dans Areva NP d'ici la fin 2011 ! Et comme les besoins d'argent frais deviennent de plus en plus pressants, on force Areva à vendre T&D, certes à un bon prix, mais on le prive ainsi de ce qui est devenu sa première source de cash-flow." Quant à couper en morceau l'activité de réseau électrique T&D, avec la haute tension chez Alstom et la moyenne tension chez Schneider, au moment même où la recherche d'une plus grande efficacité énergétiquen et donc l'efficacité des réseaux, est érigée en priorité nationale, la décision laisse perplexe.

EDF ? On confie à son nouveau président une mission si large qu'on ne sait plus quel est l'objet social de l'électricien historique. Henri Proglio doit-il préparer la fourniture d'électricité aux Français, dans les meilleures conditions, pour les trente ans à venir ? Devenir un leader global des services environnementaux et de l'énergie, selon les mots de Christian Estrosi ? Ou faire le VRP de la filière nucléaire française sur les marchés étrangers, comme il l'a lui même affirmé ? Qui peut croire qu'il aura les moyens, en temps comme en ressources financières, pour tout mener de front, sachant que, la génération qui a construit les trente centrales françaises est partie à la retraite ?

Parmi les contradictions des positions de la France, figure notamment celle de l'échelle pertinente de la politique industrielle. Car à sortir le drapeau "bleu blanc rouge" à toute occasion face à Siemens comme face à EADS à qui l'on a refusé la vente des 20% de Thalès, tout se passe comme si le président craignait de voir son pouvoir dilué dans une vraie politique industrielle européenne. On a raté la création d'un leader européen dans la défense, puis dans le nucléaire, et les exigences allemandes au sein du groupe aéronautique EADS suscitent bien des exaspérations du côté politique français.

Dès lors une question se pose : Nicolas Sarkozy est-il capable de participer à la création d'un groupe européen là où ce sera nécessaire, sans vouloir s'imposer systématiquement en chef de file des filières ? On sait que dans l'aéronautique, les semi-conducteurs ou les batteries pour la voiture électrique, c'est cette échelle là qui est pertinente. "Il ne peut pas y avoir de grand dessein industriel qui occulte la dimension européenne", disait Estrosi le 15 octobre. Mais sera-t-il entendu par l'Elysée, et le serait-il, le président français sera-t-il seulement pris au sérieux par nos voisins ?

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