Fracture numérique  : incontournables collectivités

Par Nicolas Pinton
, consultant, expert des télécommunications.

La lutte contre la fracture numérique va bénéficier d'une enveloppe de 2 milliards d'euros au titre du grand emprunt. L'enjeu est d'utiliser cette somme le plus efficacement possible, en évitant un nouveau "plan câble". Pour cela, l'Etat devra appuyer les collectivités territoriales sans se substituer à elles. Rappelons le paysage du haut débit. Depuis 2004, ce sont les collectivités qui se sont emparées du sujet : en cinq ans, elles ont investi plus de 1 milliard d'euros dans les réseaux et services, et tout indique que cette tendance va s'amplifier. Les opérateurs privés ont également joué leur rôle, ayant investi 1 milliard aux côtés des collectivités ; à ce montant il faut ajouter les investissements de France Télécom.

L'Etat, après avoir créé un régulateur en 1997, est intervenu à deux titres : de manière régalienne avec le cadre réglementaire, et indirectement sur le plan financier avec une fonction d'investisseur confiée à la Caisse des dépôts. Celle-ci a abondé aux investissements des collectivités, et les a conseillées sur leur stratégie numérique. Les temps ont donc changé : l'Etat, qui se trouve dans un rôle d'investisseur pour la première fois depuis l'ouverture à la concurrence de 1998, trouve un terrain qui a été largement occupé par les collectivités. La question est donc d'articuler leurs rôles respectifs.

Une piste intéressante nous est donnée par la loi Pintat du 17 décembre 2009. Elle a créé un fonds d'aménagement numérique des territoires qui doit financer certains projets s'inscrivant dans des schémas directeurs territoriaux établis préalablement par les collectivités. Ses ressources ne sont pas fixées. Tout le contraire du fonds national pour la société numérique créée pour gérer le grand emprunt, qui dispose de ressources mais pas de programme concret. Il serait logique que les deux fonds - celui créé par l'Etat et celui des collectivités - n'en fassent qu'un. Il serait souhaitable que ce fonds soit géré selon ?les principes établis par la loi Pintat, qui présente plusieurs avantages.

D'abord les schémas directeurs devraient pousser les collectivités à fixer leur stratégie : quels débits fournir, sur quelle partie du territoire, à quelle échéance, avec quels budgets, faut-il intervenir sur les choix techniques... Il convient en particulier de veiller à affecter les ressources aux seules zones non rentables, en évitant d'investir inutilement dans les zones rentables.

Ils forceraient aussi les collectivités à mieux rechercher la cohérence de leurs projets avec les territoires voisins. Les réseaux à haut débit financés par les collectivités sont remarquables par leur profusion mais aussi leur manque de cohérence, et cette complexité augmentera à mesure que les communes interviendront à leur tour, dans les réseaux de fibre à la maison (FTTH). Il faut éviter que le millefeuille administratif construise un millefeuille de réseaux.

Enfin, face aux énormes besoins de financement du très haut débit - estimés à 40 milliards d'euros -, le grand emprunt sera épuisé dans quelques années ; les projets ne pourront être financés que par les collectivités, comme c'est le cas depuis 2004. Certes, l'action des collectivités présente des inconvénients : lourdeur administrative, coûts de gestion. Mais chacun peut constater de manière très concrète l'efficacité des sommes investies par les collectivités et leur effet de levier, à quelques exceptions heureusement minoritaires.

Au final, le système le plus efficace est celui qui donnera aux collectivités le rôle de pilote, et à l'Etat un triple rôle : expert, régulateur, co-financeur. La question n'est pas de mettre un pilote dans un gros avion, mais d'aider de nombreux petits avions à voler à peu près sur le même cap et à la même vitesse.

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