Le double enjeu de la refondation sociale

Par Jacques Barthélémy, avocat-conseil en droit social, ancien professeur associé à la faculté de droit de Montpellier, et Gilbert Cette, professeur associé à l'université d'Aix-Marseille II (Defi). Ils sont les auteurs du rapport du Conseil d'analyse économique n° 88 : "Refondation du droit social : concilier protection des travailleurs et efficacité économique" (2010).

Le besoin d'une adaptation du droit social aux mutations économiques est fort. Il faut veiller à ce que sa vocation protectrice ne se traduise pas par des rigidités qui freineraient les évolutions économiques associées aux changements technologiques et sociaux, brideraient la croissance et fragiliseraient la situation des travailleurs, en particulier ceux dont le pouvoir de négociation est le plus réduit (peu qualifiés?). Le droit social doit être vivant et non (quasi) figé ; il ne doit plus être une superposition de strates réglementaires augmentant toujours plus en complexité, jusqu'à être parfois contradictoires. Il doit porter dans sa structure même cette capacité d'adaptation et d'anticipation. L'objet du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) dont nous sommes les auteurs est de proposer les moyens d'y parvenir.

La France se caractérise par une situation contradictoire : un droit social d'essence très réglementaire et une faible syndicalisation sont associés à un fort sentiment d'insécurité, à une mauvaise qualité des relations sociales et à un manque de confiance envers les institutions. Ainsi, le traitement des conflits du travail y est particulièrement inefficace, comme en témoignent les très longs délais de procédure.

La refondation proposée aujourd'hui repose sur une idée forte : la capacité plus grande du contrat à concilier économique et social. De ce fait, l'architecture de la refondation doit s'appuyer sur une place prépondérante du tissu conventionnel. L'élaboration du droit conventionnel obéissant à cette vision du droit social suppose une réelle légitimité des acteurs, donc l'accroissement sensible du nombre de syndiqués et des règles substantielles de conduite de la négociation. Un droit plus contractuel et moins réglementaire fait poser autrement la question du traitement des litiges et du non-respect du droit social, en particulier celle du choix entre sanctions civiles, pénales ou administratives. Elle suscite aussi le recours aux mesures incitatives à la négociation collective, notamment la médiation et l'arbitrage. Enfin, la "flexsécurité" oblige à penser autrement la protection sociale complémentaire, la déconnexion nécessaire des droits du salarié du contrat de travail incitant à la mutualisation.

La littérature économique souligne fréquemment la forte influence des traditions juridiques sur l'architecture institutionnelle et sur l'importance du droit réglementaire, en distinguant par exemple les pays ressortant d'une culture de "common law" ou de "civil law". Dans les pays de "common law", le droit social serait plus contractuel et le pouvoir d'appréciation du juge dans la résolution des conflits du travail serait plus important que dans les pays de "civil law", où ces décisions seraient davantage encadrées par des codes juridiques. Cela dit, l'inscription de la France dans une culture de civil law ne la condamne pas à l'immobilisme : la stratégie de réforme et de refondation du droit social doit en France, pour réussir, être en parfaite cohérence avec sa culture de "civil law".

Les transformations que nous préconisons n'amèneraient pas la France à quitter sa tradition de "civil law" : c'est essentiellement par le développement du droit conventionnel que serait réduit le champ d'application du droit réglementaire. Ce dernier continuerait donc de s'exercer pleinement dans les domaines qui ressortent de l'ordre public entendu au sens civiliste du terme et, pour les autres domaines, en cas de carence dans l'élaboration d'un tissu conventionnel. La tâche de refondation est immense et difficile mais les évolutions récentes des positions des acteurs permettent d'être optimistes. C'est par la déclinaison de la loi Larcher du 31 janvier 2007 que se concrétiseront les évolutions, tant de l'arsenal juridique que des mentalités. Mais il faut amplifier et rationaliser les moyens d'y parvenir.

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Commentaire 1
à écrit le 22/01/2010 à 7:54
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Absolument d'accord tant sur le constat que sur les réflexions et propositions sous réseve... que les élus aient les moyens d'être formé et, par voie de conséquence, que le budget de fonctionnement (0,2) ne soit pas diluer avec le budget social du CE

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