Le spectre d'un Munich monétaire

Par Marc Fiorentino, stratège d'Allofinance.com.

Enfin. L'affrontement qu'on faisait mine d'ignorer depuis des mois a enfin une reconnaissance officielle et internationale. Et un nom. La guerre des changes. C'est déjà une première étape essentielle. Car avant de régler le problème, et on va devoir le régler si on ne veut pas déclencher une nouvelle bourrasque sur les marchés financiers qui pourrait être aussi violente que la crise des subprimes, il faut cesser de mener la politique de l'autruche. Cesser de feindre d'ignorer ce que la Chine fait depuis des années, et ce que les États-Unis ont débuté depuis trois semaines.

Comme dans toutes les guerres, il est important de dresser le bilan des forces en présence à l'issue des premières batailles. Les premiers perdants, les premiers gagnants et les alliances logiques ou étonnantes. Comme dans toutes les guerres, personne ne bronche quand un ou deux pays, si possible petits ou éloignés se font envahir. L'invasion de la Suisse par l'explosion à la hausse du franc suisse après que la banque centrale eut déposé les armes, l'invasion de la Thaïlande, du Brésil et des autres pays émergents avec des monnaies locales à des niveaux record n'ont ému personne. Avec un raisonnement qu'on connaît bien dans les guerres : tant que cela ne nous touche pas directement, on ferme les yeux. Rappelons-nous l'exemple, bien plus dramatique certes mais instructif, de l'invasion de la Tchécoslovaquie en 1938... Ces pays sont déjà à mettre dans les premières victimes du conflit. Et les banques centrales asiatiques hors Chine et Japon, comme celles de la Corée et de la Thaïlande, ont beau intervenir tous les jours ou presque sur les marchés, rien n'y fait. Leurs monnaies continuent à se faire écraser à la hausse, leurs exportations commencent à souffrir et leurs économies vont finir par s'essouffler.

La bataille suivante s'est déroulée au Japon. La Chine a incité les marchés, en achetant notamment des obligations japonaises, à faire monter le yen. Après des années de non-intervention, la Banque du Japon a dû faire tonner sa DCA pour limiter l'avance des forces hostiles. Deux semaines après cette tentative de défense, le yen a atteint tout de même un nouveau record de hausse et la Banque du Japon hésite à utiliser à nouveau de précieuses munitions.

Dans cette guerre des monnaies, la grande bataille vient de commencer. De façon spectaculaire. C'est la bataille d'Europe. L'euro s'est apprécié en quelques jours de près de 10 %. Et rien, à part un vrai problème de la dette espagnole (mais ce n'est pas souhaitable), ne semble pouvoir ralentir l'avancée de l'offensive. La coalition anti-euro de la Chine et des États-Unis ressemble à s'y méprendre au pacte germano-soviétique au début de la Seconde Guerre mondiale : affichons publiquement un désaccord mais signons discrètement un cessez-le-feu pour pouvoir nous consacrer à l'invasion de l'Europe. Une fois l'Europe affaiblie par une devise forte, la Chine et les États-Unis pourront reprendre leur affrontement. Les forces légères des fonds spéculatifs s'engouffrent dans la brèche. Et il n'y a aucune défense européenne. Même pas une ligne Maginot de pacotille. L'Europe est ouverte. Jean-Claude Trichet a même fait de l'humour en déclarant qu'il soutenait les Américains dans leur volonté de défendre un dollar fort... sauf qu'aucun dirigeant américain n'a dit qu'il voulait un dollar fort !

Notre président s'agite. Mais il est sur le mauvais terrain. Il se bat pour la réévaluation du yuan alors que le terrain du conflit s'est déjà déplacé. Le problème, ce n'est plus le yuan. Cette guerre-là est perdue. Depuis longtemps. Le terrain de conflit, c'est le dollar. C'est contre les Américains que les Européens doivent se battre pour les empêcher de résoudre leurs problèmes une fois de plus en les transmettant aux autres. La chute du dollar, non contrôlée, est une arme de destruction massive. Une arme qui pourrait même se retourner contre les États-Unis car la baisse du dollar va finir par faire éclater la bulle obligataire américaine. Et les États-Unis n'ont pas les moyens de subir une hausse des taux d'intérêt. La guerre des changes va continuer et tous les accords du G20 à venir ressembleront fort aux accords de Munich...

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