Un grand soir fiscal est-il possible ?

Le point de vue de Jean-Philippe Delsol, avocat fiscaliste, administrateur délégué de l'Iref (*)

Un grand débat fiscal est envisagé par le président de la République lui-même. Pour sa part, le Premier ministre n'exclut plus la suppression de l'ISF que M. Copé appelle de ses voeux. Le traumatisme des élections perdues de 1988 à la suite, mais non nécessairement à cause de l'abrogation de l'ISF deux ans plus tôt, est peut-être enfin en train de s'estomper.

L'ISF apparaît toujours plus comme un impôt imbécile, comme une arme idéologique plutôt que de contribuer au budget de l'État. Car l'ISF rapporte peu et peut-être même rien du tout?: bon an mal an, 4 milliards d'euros au Trésor public. Mais il faut en déduire 600 millions d'euros pour prix du bouclier fiscal. Et plus encore, il faut prendre en compte ses effets délétères?: les Français les plus fortunés votent avec leurs pieds et la fortune qu'ils transfèrent à l'étranger non seulement échappe désormais au fisc français, mais elle ne génère plus ni activité, ni emploi, ni profit en France. Tous les pays de l'Union européenne l'ont compris. Une douzaine d'entre eux a aboli son impôt sur le capital au cours de ces dernières années. L'Espagne socialiste a été le dernier à le faire. La France reste donc la seule à disposer de ce contre-privilège. Remettre en cause quelques niches fiscales accordées aux entreprises suffirait à compenser les 3 à 4 milliards d'euros qu'il rapporte. La Cour des comptes vient de proposer 30 milliards d'économies sur ces niches.

Et ce n'est pas tout, car l'ISF est également inique. Il porte même sur les actifs non productifs de revenus dont il érode ainsi la valeur année après année. Il ne tient surtout pas compte de la situation des couples qu'il frappe sans prendre en compte le fait qu'ils réunissent deux patrimoines. Les époux disposent de la même franchise (790.000 euros) qu'un célibataire et la progression de l'impôt, de 0,55 % à 1,8 % s'applique sur leur patrimoine comme sur celui d'un célibataire. Ainsi deux personnes ayant chacune un patrimoine de 790.000 euros ne payent pas d'ISF, mais si elles se marient, elles supportent un ISF de 5.746 euros. Si elles disposent chacune d'un patrimoine de 2.500.000 euros, elles payent chacune 12.870 euros d'impôt. Si elles se marient, elles sont redevables d'un ISF de 42.500 euros, soit 65 % de plus.

Ainsi en l'absence de quotient familial, il y a une violation manifeste de l'article 1er de la Constitution de 1958 aux termes duquel?: « La France... assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens... »?; violation aussi des articles 1 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 disposant respectivement que « les hommes naissent et demeurent... égaux en droit » et que « la loi doit être la même pour tous ».

Le fait que deux personnes se marient, ou vivent d'ailleurs en concubinage notoire, ne les transforme pas en un citoyen unique. Chacune, heureusement, garde ses droits. Chacune vote. Chacune peut conserver la propriété de son patrimoine.

Pourquoi faudrait-il les taxer comme s'ils n'étaient qu'un. C'est une notion totalement archaïque du couple, que seul l'ISF retient. Car en matière d'impôt sur le revenu, il y a bien toujours deux parts pour les deux parents.

De plus, en l'absence de quotient familial prenant en compte les enfants, la réglementation sur l'ISF viole aussi l'article 13 de la Déclaration de 1789 : «... Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable, elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés. » Les 150 euros accordés pour chaque enfant ne prennent pas en compte le coût réel des enfants et les facultés de chacun, comme une juste répartition entre eux de la charge publique.

Le Conseil constitutionnel s'est retranché, dans sa décision du 24 septembre dernier, derrière le pouvoir souverain du législateur pour renoncer à toute mise en cause de l'ISF. Souhaitons que les hommes politiques de la majorité présidentielle soient plus courageux.

Car l'efficacité économique comme la justice exigent désormais que la question de l'ISF soit réexaminée. Il ne s'agit que de favoriser la richesse pour que tous puissent en profiter.

(*) Club de réflexion européen sur les sujets économiques et fiscaux.

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