Pourquoi la Fed a raison contre tous

Par Jacques Delpla, membre du Conseil d'analyse économique.
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La Réserve fédérale a raison de relancer massivement la planche à billets pour sortir les États-Unis de la crise actuelle. Européens et Asiatiques ont sévèrement condamné cette décision mais n'ont proposé aucun plan alternatif. Même si la stratégie de la Fed est imparfaite, elle est la seule disponible aux États-Unis. Ne nous trompons pas, malgré ses dénégations officielles, la Fed vient de s'embarquer sur un programme XXL de rachat de dettes publiques (et privées), afin de les réduire par un coup d'inflation majeur. Plutôt un bon coup d'inflation pour solder le passé qu'une répétition de la crise de déflation par la dette des années 1930. Revenons au coeur du sujet : les États-Unis (et l'OCDE) sortent depuis 2007 de la plus grande bulle de crédit de l'Histoire. La vraie question est : "Comment sortir de cette bulle gigantesque ?". En 2008, on croyait à une crise de liquidité. Aujourd'hui, on voit bien qu'il s'agit d'une crise de solvabilité. À défaut du deus ex machina d'une croissance massive et inattendue, à défaut de nier le problème (cf. Japon depuis 1990), trois solutions sont possibles pour réduire cet excès de dette.

La première (qui a ma préférence) serait une transformation instantanée de cette dette excessive en fonds propres, par un "debt equity swap" généralisé pour l'ensemble des débiteurs privés (dilution massive des actionnaires qui ont décidé de la bulle) et une réduction (conditionnelle) des dettes des États surendettés. C'est en substance ce que propose l'Allemagne. Les actionnaires et créanciers imprudents qui ont créé cette bulle subiraient les conséquences de leurs risques pris dans le passé (et pour lesquels ils ont été bien rémunérés) et la machine de la croissance pourrait repartir sur des bases saines. Les États-Unis ne le peuvent pas à cause de leur système juridique pointilleux et parce que le Trésor américain ne veut pas faire défaut formellement sur sa dette.

La deuxième solution est l'orthodoxie : forcer les débiteurs à rembourser jusqu'à épuisement complet, quitte à saigner à blanc l'économie. Bernanke n'en veut pas. D'une part, il sait bien que son pays est viscéralement hostile aux hausses d'impôts. D'autre part, il sait que cette stratégie orthodoxe se terminerait en récession et déflation par la dette, comme en 1929-1933. Toute la recherche académique du jeune Bernanke fut centrée sur cet épisode, comment éviter une nouvelle Grande Dépression. Nul doute que c'est son projet aujourd'hui.

Il ne reste à Bernanke, pour réduire le poids réel des dettes, que l'inflation massive de l'économie américaine. C'est commencé : la Fed avait déjà acheté pour 12% de PIB de dettes en 2008-2009. Aujourd'hui, elle en rajoute pour 4% du PIB d'ici à juin. Et comme la crise de la dette ne sera pas finie d'ici là, les rachats de dette continueront : QE3, QE4... QEn. Dans un premier temps, ces rachats ne seront pas inflationnistes : ils boosteront l'économie. Puis, une fois croissance et inflation revenues, la Fed ne revendra pas cette dette, contrairement à ce qu'elle proclame aujourd'hui ; elle n'épongera pas les liquidités car alors la Fed replongerait l'économie américaine dans la récession et la faillite. Est-ce à dire que Bernanke prépare le retour à la longue stagflation des années 1970 ? Non ! Bernanke connaît trop bien les coûts en termes de croissance d'une inflation continue. Il veut seulement réduire le stock historique de dette. Sa solution rêvée serait probablement, d'un coup de baguette magique, d'augmenter instantanément tous les prix et salaires d'un facteur N, d'ajuster le dollar de 1/N et de revenir, juste après, à une inflation de 2%, grâce à une politique monétaire crédible. Dans la pratique, ce sera plus compliqué et plus étalé, mais je ne doute pas que ce soit le plan de Bernanke : mieux vaut restructurer (i.e. réduire) rapidement la dette de l'Amérique par un bon coup d'inflation pour rebondir après, plutôt que de passer une ou deux décennies de récession. La Chine et les pays à excédents paieront ! C'est mauvais pour les exportateurs européens, mais c'est très positif pour les émetteurs européens de dette sûre (les Trésors allemand et français dont les taux à 10 ans pourraient descendre en dessous de 2%). Et c'est finalement positif pour l'ensemble du monde : mieux vaut solder le passé de la bulle et faire repartir la croissance sur des bases assainies.

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