La régulation destructrice des ventes à découvert

Le souci de transparence est partagé par les professionnels. Mais trop de transparence comporte des effets néfastes pour l'industrie financière et pour les investisseurs que le régulateur est justement censé protéger.
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La Commission européenne souhaite harmoniser la régulation des ventes à découvert à l'échelle de l'Union européenne. La vente à découvert est un mécanisme qui permet de spéculer à la baisse sur un titre en le vendant (sans le posséder), à charge au vendeur à découvert de l'acheter ultérieurement pour le livrer à l'acheteur. Ce mécanisme (et ceux qui en font usage) a été montré du doigt pendant la crise des marchés en septembre 2008, période durant laquelle de nombreux pays ont simplement interdit les ventes à découvert sur les actifs supposés souffrir des actions des vendeurs à découvert. Les dispositions prises par les pays de l'Union européenne en septembre 2008 pour contrer les vendeurs à découvert étaient très disparates, ce qui fut le catalyseur pour l'initiative d'une régulation paneuropéenne.

Un des piliers de la présente réforme de l'Union européenne est la volonté d'apporter de la transparence et donc de l'information au marché sur le poids effectif des ventes à découvert dans le fonctionnement des marchés.

Ce souci de transparence fait écho à des demandes répétées de la part des professionnels eux-mêmes. L'opacité de ce marché ne fait que nuire en effet à la notoriété de ses acteurs. Cependant, force est de constater que le projet de régulation laisse apparaître un excès de zèle manifeste de la part du régulateur. Le projet prévoit que les vendeurs à découvert seront contraints de déclarer au régulateur leur position nette « short » à partir de 0,2 % du volume des titres de l'actif concernés. À partir de 0,5 %, la position ainsi que l'identité du vendeur à découvert seront dévoilées au marché. Par ailleurs, à la discrétion du régulateur, un vendeur à découvert peut être appelé à expliquer son geste (!) s'il est jugé potentiellement générateur d'instabilité sur les marché. Le régulateur n'a plus besoin de montrer qu'il y a un soupçon de fraude pour enquêter sur une vente à découvert.

Le vendeur à découvert est donc, par défaut, montré du doigt. Qui plus est, son identité peut être dévoilée. Les effets d'une telle régulation ne pourront être que néfastes pour les petits porteurs que le régulateur est justement chargé de protéger. En effet, cette stratégie de « name and shame » fera fuir les derniers courageux qui continuent à travailler sur ce marché. Cela aura pour conséquence de réduire la liquidité et l'efficience des marchés dont les prix ne refléteront plus que les avis optimistes sur les titres qui s'échangeront alors à des prix supérieurs, ce qui affectera les possibilités de diversification et finalement le rendement pour les petits investisseurs.

Ces mesures pourront être dangereuses aussi pour la croissance et l'emploi au sein de l'Union européenne. En effet, des pans entiers de l'industrie financière sont appelés à disparaître ou, du moins, à réduire substantiellement leur activité de peur de se voir « dévoilés ». En effet, exiger d'un professionnel des marchés financiers de dévoiler sa stratégie, qui plus est au grand public, est tout simplement suicidaire. Oserait-on demander à un leader de l'industrie aéronautique ou automobile de révéler ses secrets industriels ?

Dans le cas de l'industrie financière, les concurrents n'auront même pas à faire des efforts ! Comme un « vacuum » est très vite comblé dans nos économies modernes, on assistera probablement à une délocalisation de l'activité financière de haut niveau (qui recourt aux ventes à découvert) vers les États-Unis, voire même la Chine ou l'Inde. L'harmonisation a pour objectif d'éviter des arbitrages fondés sur les différences de régulation des pays européens. Elle est en passe de créer un vaste mouvement d'arbitrage entre l'Union européenne et les autres continents.

Toutes les études académiques récentes et anciennes, souvent citées par le régulateur lui-même, montrent le rôle fondamental que jouent les vendeurs à découvert dans le bon fonctionnement des marchés. Les études qui ont suivi la période tumultueuse de septembre 2008 sont presque toutes unanimes que les mesures prises contre les vendeurs à découvert ont eu exactement l'effet contraire de celui escompté par le régulateur. Ce dernier, dans le nouveau projet de réforme, semble ignorer cette accumulation d'évidence objective. Dans le meilleur des cas, les raisons fondamentales qui poussent à cette régulation restent vagues voire mystérieuses.

Le régulateur a pris la peine de lister le pour et le contre d'une telle régulation. Le contre est clair et évident pour tout le monde. Les arguments en faveur d'une telle régulation avancés ne sont pas crédibles, au mieux. Rétrospectivement, force est de constater qu'il y a comme un soupçon « d'idéologie » dans cette régulation qui a pour but de réduire à néant des acteurs capitaux dans tout marché moderne. Dans le monde ouvert et dynamique où l'on vit, la crédibilité est le principal capital des régulateurs. La SEC s'est ressaisie deux semaines seulement après l'interdiction des ventes à découvert qu'elle avait décrétée en septembre 2008 et a fait son « mea culpa » en public. Tel n'a pas du tout été le cas des pays de l'Union.

Il est encore temps de rationaliser la régulation des ventes à découvert : oui pour plus de transparence mais non à une supertransparence destructrice qui n'existe sur aucun autre segment des marchés financiers.

 

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