Bruxelles contre ses entreprises ?

Face aux plans de soutien à l'automobile américaine ou à l'émergence d'une concurrence chinoise soumise à des règles moins strictes, les critiques s'intensifient contre la politique très tatillonne de la Commission européenne.
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Le sujet revient comme une petite musique, de plus en plus insistante, dans la bouche des dirigeants : l'Europe ne joue guère en faveur de ses entreprises. "Elle donne même le sentiment que son objectif premier est de fusiller les entreprises européennes", assène le patron d'un très grand groupe de services. Rien de moins !

A Bruxelles, pourtant, n'est-ce pas "business as usual" ? La Commission européenne fait toujours la chasse aux abus de position dominante, comme le montre l'enquête formelle qu'elle vient d'ouvrir sur Google, le géant de l'Internet. Elle traque encore les aides d'Etat accordées à telle ou telle entreprise, même si les règles ont été légèrement assouplies fin 2008. Elle continue de distribuer de lourdes amendes pour ententes illégales. La dernière en date : 799 millions d'euros à partager entre onze compagnies, dont Air France-KLM, dans le fret aérien. Et les services de Joaquin Almunia, le commissaire à la Concurrence, contrôlent toujours aussi minutieusement les fusions-acquisitions, plus rares, il est vrai, ces derniers mois. Ils viennent ainsi d'exiger d'Unilever, le géant néerlandais des biens de consommation, qu'il cède la marque Sanex pour pouvoir acheter les déodorants de l'américain Sara Lee.

La routine, donc. Mais c'est justement ce qui agace nos dirigeants d'entreprise. Les critiques sont certes plus vives lorsque Bruxelles s'en prend à un champion national qu'à un autre européen ou à des américains comme Google ou Microsoft. Mais elles disent toutes la même chose : le monde économique est en pleine mutation et les experts de la Commission restent murés dans leurs principes. "Infliger une amende aussi lourde [340 millions d'euros, Ndlr] à Air France au moment où cette entreprise et le secteur aérien se redressent, cela donne l'impression que l'Europe ne veut surtout pas avoir de champions européens", constate Jean-Luc Decornoy, le président du directoire de KPMG France.

Le ressentiment est d'autant plus vif que, dans de nombreux pays, Etats-Unis en tête, la crise a ressuscité les politiques de soutien aux géants nationaux en difficulté. Le Trésor américain n'a-t-il pas injecté près de 50 milliards de dollars dans le sauvetage de son premier constructeur automobile, General Motors ? A côté de cette aide massive, les 720 millions d'euros dépensés en 2004 par Bercy (et très largement récupérés trois ans plus tard) pour entrer au capital d'Alstom, font pâle figure. Et pourtant, on s'en souvient, il avait fallu un an d'âpres négociations aux ministres de l'Economie de l'époque, Francis Mer puis Nicolas Sarkozy, pour obtenir le feu vert du commissaire Mario Monti ! Et comment comprendre, face aux milliards versés à l'auto américaine, que Bruxelles hausse aujourd'hui les sourcils pour les 100 millions d'euros prêtés à Renault par l'État français pour développer la voiture électrique ?

"Il faut qu'on arrête de penser à Bruxelles que le mot de politique industrielle est un mot pornographique !", s'exclamait la semaine dernière Jean-Pierre Jouyet, le président de l'Autorité des marchés financiers, lors des Sixièmes Rencontres de l'entreprise européenne, organisées par Roland Berger, La Tribune et HEC. Et Bernard Charlès, le directeur général de Dassault Systèmes, n'était pas moins sévère. "Quand un pays prend des initiatives, en matière de pôle de compétitivité par exemple, l'instruction européenne est à charge", regrettait-il.

Difficile à admettre, surtout pour des industriels confrontés dans le même temps à l'essor d'une concurrence chinoise peu bridée par des carcans réglementaires. "En Chine, nos concurrents n'utilisent pas les mêmes armes. Nous sommes en guerre économique. Et une guerre, ça se fait à armes égales", remarquait Philippe Crouzet, le PDG de Vallourec, lors d'une table ronde sur la croissance en Europe organisée voilà quelques jours par Schroders.

Pas question, certes, de jeter la Commission aux orties. L'Europe a besoin de règles pour fonctionner sur des bases équitables. Et chaque consommateur se réjouit quand Bruxelles impose des baisses de prix dans la téléphonie ou l'électricité, quand elle bannit les substances dangereuses des jouets ou des biberons, quand elle interdit les briquets dangereux. Mais, dans un monde qui se durcit, le principe de "concurrence libre et non faussée", sur lequel repose l'Union, semble de plus en plus inadapté. Pourtant, Joaquin Almunia veut redevenir plus strict sur les aides d'Etat. Visiblement, les dirigeants d'entreprise ont du mal à être entendus.

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