La dette française vaut bien la dette allemande

En creusant l'écart de taux entre la France et l'Allemagne, la crise irlandaise a fait craindre une divergence de fond dans l'analyse du crédit des deux pays par les marchés. Mythe ou réalité ?
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Depuis le début de la crise grecque, la France pâtit d'une réputation écornée aux yeux des investisseurs internationaux. En faisant s'écarter les spreads (écarts de taux à 10 ans, référence du marché) entre les OAT et les bunds allemands, les investisseurs opèrent en effet une discrimination entre le pays des cigales (dont la France) et celui des fourmis (surtout l'Allemagne). En réalité, la vigueur du rally sur les emprunts d'État allemands résulte surtout du statut de valeur refuge accordé aux premiers. Les réarbitrages de portefeuilles opérés au détriment des dettes les plus vulnérables (Grèce, Irlande, Espagne...) se sont ainsi reportés essentiellement sur la dette allemande, provoquant indirectement un écartement des rendements avec des emprunts français sans rapport avec la réalité des fondamentaux comparés des deux pays. Les investisseurs ont justifié cette discrimination en s'appuyant presque exclusivement sur un examen prospectif des déficits budgétaires respectifs des deux pays, le traitement privilégié de la dette allemande s'expliquant par une orthodoxie allemande historique qui s'opposerait à un laxisme français congénital.

Mais qu'en est-il réellement ? Il apparaît que la bonne presse dont bénéficie l'Allemagne par rapport à la France sur les marchés repose sur des bases erronées. Tout d'abord parce que les ratios d'endettement publics sont similaires. Par ailleurs, une analyse plus exhaustive suggère de prendre également en compte la situation des entreprises (le « secteur non financier » selon les instituts statistiques), celle des ménages et celle des banques. Or c'est une tout autre image qui ressort lorsque le champ de l'analyse s'élargit.

L'Allemagne dispose certes d'une industrie plus compétitive et riche de PME qu'en France. En revanche, l'économie française dispose de quelques atouts comparatifs forts : les grandes entreprises françaises ont une situation financière plutôt solide ; le marché de l'immobilier résidentiel est sain ; la démographie est l'une des mieux orientées d'Europe, ce qui est positif pour la croissance économique à long terme. Enfin, les autorités françaises ont cherché tout au long de la crise à soutenir la consommation des ménages, lorsque l'Allemagne se focalisait sur la compétitivité de son appareil productif. Résultat, le niveau d'endettement des agents économiques privés donne clairement un avantage à la France.

Reste enfin le passif du secteur financier. La tempête financière déclenchée par la faillite de Lehman Brothers n'a épargné aucune banque. Mais qu'il s'agisse des injections de capitaux propres, des garanties bancaires ou des provisions pour dépréciations d'actifs ou de créances douteuses, les banques françaises ont payé un tribut bien moins lourd que leurs homologues allemandes (notamment les banques régionales), qui n'ont pas entrepris le ménage nécessaire dans leurs engagements. La création de deux « bad banks » en Allemagne, pour répondre aux besoins de Hypo Real Estate et de WestLB, va faire monter le ratio dette/PIB allemand de 10 % environ.

En mettant bout à bout chacun de ces éléments, on s'aperçoit donc que la France et l'Allemagne sont globalement dans des situations relativement proches, avec un léger avantage pour la France. Dans tous les cas, leur situation combinée est bien plus enviable qu'aux États-Unis, où le taux d'endettement des agents économiques atteint 243 % (source : SG Rates Strategy, octobre 2010). Les ménages y sont ainsi engagés dans un processus long et douloureux de désendettement, ce qui explique en grande partie le fait que les mesures de politique budgétaire ont atténué les effets de la récession de 2008-2009 plus qu'elles n'ont ramené l'économie américaine à son potentiel de croissance. Rien à voir non plus avec le Japon, où les perspectives démographiques pèseront à terme sur le taux d'épargne des ménages et sur la capacité de ces derniers à porter, seuls, l'essentiel de la dette publique du pays (cette dernière atteint 200 % du PIB). Le Royaume-Uni, enfin, paye la vigueur de sa récession et l'inadaptation de son modèle économique, trop dépendant de services financiers structurellement cycliques. Pour toutes ces raisons, les fondamentaux français n'apparaissent pas si dégradés.

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