La microfinance, nouveau "subprime" en Inde ?

Par Laurence Saillard, chargée d'études à Audencia Nantes (école de management), et Christophe Villa, professeur à Audencia Nantes.
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Les acteurs de la microfinance, ce secteur financier jeune et en plein développement, à la frontière de l'économique et du social, sont sommés de s'expliquer. Sont-ils capables de concilier la poursuite d'objectifs sociaux et la recherche de rentabilité, nécessaire à la survie et à la croissance du secteur ? Une fois de plus, c'est l'Inde qui est au coeur des polémiques actuelles. Rien d'étonnant à cela : le marché indien de la microfinance est actuellement le plus dynamique au monde, le nombre de ses clients étant passé de 10,5 à 26,7 millions au cours des quatre dernières années. Il est aussi le marché potentiel le plus important puisque trois quarts des 1,2 milliard d'habitants de l'Inde vivent avec moins de 2 dollars par jour. Les polémiques actuelles sont nourries depuis l'été 2010 par deux événements différents.

D'une part, l'introduction à la Bourse de Bombay au mois de juillet dernier de la première institution de microfinance (IMF) indienne, SKS Microfinance, qui compte 5,8 millions de clients. Cette introduction en Bourse a remporté un immense succès. De grands noms de la finance internationale sont entrés au capital permettant d'atteindre l'objectif de lever 358 millions de dollars... et à son président fondateur, Vikram Akula, de réaliser au passage une belle plus-value. D'autre part, depuis le mois d'octobre, les IMF de l'État d'Andhra Pradesh, au sud-est de l'Inde, dont SKS, semblent traverser une crise terrible. Il leur est reproché de pratiquer des taux d'intérêt trop élevés et d'user de méthodes de recouvrement trop agressives. Pour endiguer la contestation, le gouvernement de cet État a adopté une nouvelle réglementation, imposant notamment aux IMF de s'enregistrer auprès d'un bureau officiel et de déclarer leurs taux d'intérêt. Mais une menace plane : la banque centrale indienne pourrait déclasser les IMF du secteur dit prioritaire, ce qui aurait pour conséquence un assèchement des sources de refinancement des IMF indiennes et une crise de liquidités.

Ces deux événements ne peuvent pas laisser indifférent, d'autant moins que d'aucuns peuvent être tentés de faire un rapprochement avec la crise américaine des subprimes et de craindre l'éclatement de ce qui serait une bulle des microcrédits en Inde. Il convient cependant de relativiser les choses. Tout d'abord, ce n'est pas la première fois que des IMF indiennes sont accusées de pratiques contestables. Ensuite, la crise de liquidités semble avoir été évitée puisque de grandes banques ont annoncé qu'elles continueraient à refinancer ces sociétés. Plus généralement, la microfinance en Inde s'est développée dans un contexte politique peu favorable, qui perdure toujours en 2010. Le gouvernement indien a en effet multiplié les contraintes réglementaires. Les IMF n'ont pas le droit de collecter de l'épargne, ne peuvent pas compter d'ONG dans leur actionnariat et les investisseurs étrangers ne peuvent pas participer de façon significative à leur capital ni à leur gouvernance. Il en résulte une domination des fondateurs et l'entrée au capital d'investisseurs purement financiers qui recherchent avant tout la rentabilité. Le gouvernement indien voit dans les IMF des concurrents d'un programme qu'il soutient, les « groupes d'entraide ». Il lui arrive de condamner les taux d'intérêt pratiqués par les IMF, voire de décréter des abandons de créances de la part des IMF.

Il n'en demeure pas moins que cette nouvelle crise doit inciter les IMF à maîtriser leur croissance. La crise indienne actuelle est en effet d'abord une crise de croissance et témoigne de l'extraordinaire succès des microcrédits. Mais le marché est saturé dans certains États et les IMF gagneraient à s'intéresser davantage aux 22 des 28 États indiens dans lesquels elles sont encore peu ou pas présentes. Cette crise rappelle aussi que les IMF et ceux qui les financent doivent toujours chercher à améliorer leurs pratiques en matière de transparence et de protection des consommateurs. Les IMF sont, par ailleurs, de plus en plus évaluées par les sociétés de rating autant sur leurs performances financières que sur leurs performances sociales. La Fondation Grameen vient d'ailleurs de lancer un programme de certification des performances sociales des IMF sur la base d'un index de réduction de la pauvreté. Parmi les deux premières à avoir été certifiées figure... une IMF indienne, Esaf. Elle témoigne de la volonté constante du secteur de la microfinance de placer les clients précaires au coeur de ses objectifs.

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