Le tocsin sonne à l'école primaire

Par Jacques Barraux, journaliste.
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Quelle aura été pour la France la plus mauvaise nouvelle économique de l'année 2010 ? Le complot contre l'euro ? Non. La cascade de grands contrats perdus à l'export ? Pas davantage. La nouvelle la plus douloureuse à court terme et la plus grave à long terme est l'annonce de l'effondrement de notre pays dans le classement « Pisa » de l'OCDE, qui évalue le niveau de compétences des élèves âgés de 15 ans dans 65 pays.

La nouvelle est douloureuse car elle révèle le destin cruel qui attend les 22,5 % d'élèves en « très grande difficulté » dans les deux domaines de la « compréhension de l'écrit » et des mathématiques. Une masse considérable de jeunes Français qui seront majeurs dans moins de deux ans (l'étude se base sur 2009) et vont se présenter dans les pires conditions sur un marché du travail déjà malade de l'inadéquation entre l'offre et la demande de personnel qualifié.

À long terme, la France confirme son impréparation aux enjeux du XXIe siècle. Impréparation masquée par une mauvaise interprétation des signaux d'alerte. Discours dominant : oui c'est vrai, l'échec scolaire est un souci, mais la France reste dans la moyenne du classement grâce à la bonne résistance des élèves de la catégorie « niveau supérieur à la moyenne ». L'élite tient bon, donc le pays tient bon. Or, voilà bien un domaine de l'économie où la notion de moyenne est ni plus ni moins ridicule.

Le servage a disparu, Taylor est mort, « les Temps modernes » version Chaplin ne sont plus qu'un mauvais souvenir. Dans l'industrie comme dans les services, le savoir n'est plus la propriété d'une caste de bons élèves parachutés dès la sortie de leur grande école à la tête de dociles ? ou d'indociles ? armées d'exécutants. La notion de « cadres », elle-même, singularité française des années 1950-2000, n'a pas résisté à l'appropriation des outils d'information par l'ensemble de la population salariée. À l'heure d'Internet et des réseaux sociaux, la génération des « exclus de l'emploi à vie » est contrainte de s'inspirer du modèle de l'auto- entrepreneur pour organiser son parcours professionnel. Jamais la solitude du citoyen devant le mur de l'emploi n'a été aussi difficile à vivre quand celui-ci découvre qu'il n'a pas le bagage minimum qu'exige le métier de son choix.

La crise du modèle scolaire français prend sa racine à l'école primaire, là où s'acquièrent les seuls outils vraiment indispensables pour vivre en société. Traverser une crise d'adolescence à 13 ans dans un collège médiocre prête moins à conséquence que d'être privé à 8 ans du viatique qui conditionne la vie entière : savoir lire, compter, s'exprimer de manière intelligible et avoir calé dans son cerveau le minimum de connaissances qui aident à se situer dans l'espace (la géographie), dans le temps (l'histoire) et dans le monde d'aujourd'hui (sciences et vie pratique). On est un handicapé pour la vie si, à 15 ans, on ne sait pas faire une règle de trois, écrire une lettre, lire un document administratif ou situer Louis XIV par rapport à Joseph Staline. Le monde des entreprises ne recherche pas des surdoués. Tout juste des gens de bon sens en phase avec les codes et les usages de l'époque.

Pendant un siècle, « l'instituteur », formé en deux ans pour un métier bien défini, a façonné des générations de citoyens et de salariés qui en savaient plus sur les sujets d'aujourd'hui ? la Ruhr, les fleuves de Chine, l'économie du pétrole, etc... ? que les bacheliers de 2010. L'enseignant du primaire a maintenant un bac + 5 et de confuses abstractions dans la tête. Une étude récente menée en Picardie sur 1.000 candidats a révélé qu'une majorité avait de réelles difficultés en orthographe, en grammaire et en calcul... L'OCDE sonne le tocsin, mais la France parle de la météo.

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