Internet : prévenir la saturation

Par Bruno Jullien et Wilfried Sand-Zantman, chercheurs à l'Ecole d'économie de Toulouse (TSE).
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Depuis plusieurs mois, les autorités publiques (gouvernement, régulateurs, Parlement) multiplient la création de commissions ad hoc et la publication de rapports visant à réglementer les usages de l'Internet, le dernier en date remontant à la fin septembre (Arcep). Il est vrai qu'un secteur qui compte pour 7 % du PIB mondial - et devrait approcher 20 % d'ici à 2020 - ne peut laisser les décideurs indifférents, d'autant qu'une véritable bataille d'influence est engagée entre fournisseurs de contenus et fournisseurs d'accès.

Les premiers se proclament attachés à l'esprit qui a forgé le succès du Net, la grande liberté accordée à tous les acteurs, et la neutralité du réseau quant aux usages que chacun peut en faire. Les seconds affirment pour leur part la nécessité de faire payer davantage les sites qui sollicitent le plus le réseau.

Au-delà de la nécessité de garantir la liberté d'expression sur Internet, cette bataille pose la question de l'évolution du Net que nous sommes tous les jours plus nombreux à utiliser de façon toujours plus intensive. Dans quelle mesure le mode de fonctionnement actuel peut-il garantir un réseau stable et adapté aux usages de demain ? Alors que dans la plupart des marchés, les ressources rares - et la capacité du réseau en est une - sont allouées par l'intermédiaire du marché, en modulant les prix, dans le cas d'Internet, les choses sont plus compliquées.

Davantage d'utilisateurs présents sur le réseau conduisent à dégrader la qualité de celui-ci. On le voit déjà au quotidien sur le réseau mobile, plus limité que le réseau fixe, et où il devient de plus en plus difficile, aux heures de pointe, de télécharger des vidéos sans coupures. Or les systèmes de tarification actuels - généralement un abonnement fixe indépendant de la « quantité du réseau » sollicitée - ne conduisent pas à responsabiliser les utilisateurs.

On peut donc se demander, face à l'augmentation des usages, si d'autres modes de tarification qui feraient davantage participer certains fournisseurs de contenu, en particulier les sites fortement consommateurs de ressources, ne seraient pas souhaitables. Ce sont en effet des sites de partage comme Youtube ou Dailymotion, et des sites proposant des vidéos à la demande (aujourd'hui plus d'une cinquantaine en France, avec une activité qui a doublé entre 2008 et 2009) qui conduisent à des usages répétés et intensifs du réseau, à la source de sa saturation.

Les propriétaires des réseaux tirent profit de ces usages via une augmentation du nombre des abonnements. Mais, en s'interdisant de faire participer financièrement les fournisseurs de contenus, on limite les ressources des fournisseurs d'accès et donc leurs capacités à développer rapidement de nouveaux réseaux de fibre optique sur le territoire comme le nécessiterait la croissance des usages.

Ainsi, en conservant une version stricte de la Net Neutralité, le choix implicite est en réalité de favoriser les grands fournisseurs de contenus au détriment des fournisseurs d'accès et des utilisateurs finaux qui risquent de voir la qualité de leurs connexions se dégrader.

L'enjeu concerne en particulier la possibilité de proposer des offres de qualité supérieure en termes de délais et d'intégrité des contenus. À des usages et des besoins différents correspondraient des qualités différentes mais également des prix différents. L'idée d'une discrimination est difficilement acceptée dans la vie sociale mais en économie, elle constitue une façon efficace de gérer la rareté.

Personne n'aime avoir sa connexion perturbée mais tout le monde convient que certains usages (police, santé) peuvent avoir des droits prioritaires. De même que sur la route, certains prennent l'autoroute payante et d'autres les nationales, il est possible de créer différents types d'accès pour relier les différents utilisateurs. Créer des accès prioritaires ne résoudra sans doute pas le problème de financement de ces réseaux de manière globale. Mais cela permettra, pour ceux qui estiment que leur usage est important, de se prémunir contre les effets de ceux - utilisateurs mais principalement fournisseurs de contenus - qui utilisent intensément le réseau sans en payer toujours le vrai coût.

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Commentaire 1
à écrit le 20/12/2010 à 0:11
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Les fournisseurs de contenus et les fournisseurs d?accès ont des relations normales de clients à fournisseur, mais ce n'est pas une "bataille". C'est une chaîne d'échanges profitables pour tous y compris pour le client final. Le réseau internet trou...

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