Les nouvelles frontières de l'intelligence économique

Par Olivier Buquen, délégué interministériel à l'intelligence économique.
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Créée il y a quinze mois, la Délégation interministérielle à l'intelligence économique (D2IE) a élaboré la stratégie de l'Etat en matière d'intelligence économique, que le Conseil des ministres a approuvée récemment. Cette stratégie est une composante à part entière de la politique économique du gouvernement, avec deux objectifs : la croissance et l'emploi. L'Etat s'est organisé pour disposer d'un système de veille structuré, fondé sur des moteurs de recherche dédiés et sur son réseau préfectoral et diplomatique. A partir de là, dans une économie ouverte et mondialisée, sa stratégie en matière d'intelligence économique consiste à favoriser la compétitivité des entreprises et à renforcer leur sécurité économique.

Quels sont les leviers de l'intelligence économique pour soutenir cette compétitivité ? On en compte trois principaux :

- une meilleure valorisation de la recherche publique au profit des entreprises ; un accord comme celui qui a permis à STMicroelectronics de bénéficier d'innovations produites par le CEA est exemplaire ;

- une plus grande capacité à exporter : c'est l'objet du soutien de l'Etat aux contrats stratégiques ; c'est aussi le travail au quotidien d'Ubifrance ;

- une plus grande influence de la France dans les institutions économiques, scientifiques et techniques internationales : les normes techniques qui concernent nos entreprises, décidées à plus de 80% dans des comités internationaux, sont décisives pour la compétitivité de leurs produits. Quant à la sécurité économique, elle est essentielle dans une économie ouverte, porteuse de croissance et de développement mais aussi de menaces. Celles-ci peuvent concerner :

1. Les actifs des entreprises (innovations, informations stratégiques, appareil productif, etc.). Un visiteur se perd opportunément dans une entreprise pour y dérober informations ou prototypes ; un stagiaire publie en ligne son rapport de stage, conscient ou non qu'il contient des données confidentielles de l'entreprise qui l'a employé ; un salarié mécontent propose de vendre des innovations clés de son employeur à un concurrent (cf. l'affaire Michelin) ; un client entreprend de diversifier ses fournisseurs en transmettant les spécifications des produits de l'un d'entre eux aux autres ; un logiciel est inséré à distance dans le système informatique d'une entreprise, pour dupliquer en temps réel les échanges d'e-mails.

2. Leur image ou leur réputation. Un concurrent peu scrupuleux diffuse anonymement sur le Net un pseudo-rapport scientifique décrédibilisant le produit phare d'un laboratoire pharmaceutique (cf. l'affaire Théa, heureusement bien terminée) ; un grand groupe français doit faire face à une campagne d'information hostile aux Etats-Unis, au moment même - coïncidence (?) - où il doit y renouveler un gros contrat convoité par des concurrents américains.

3. Leur capital. Une PME porteuse d'un savoir-faire unique se fait racheter par un fournisseur qui menaçait de lui couper ses approvisionnements ; un groupe se voit contacté par un concurrent qui souhaite le racheter uniquement pour mettre la main sur des technologies de pointe et délocaliser les sites de production.

Tous ces exemples - authentiques - montrent la diversité des incidents constatés en France, comme ailleurs. Pour une raison simple : la compétition économique est toujours plus intense dans notre monde multipolaire. Dans ce contexte, il ne faut être ni paranoïaque - les échanges sont des facteurs indispensables de progrès -, ni naïf - les menaces sont réelles. Il faut être vigilant. C'est le rôle de l'État d'alerter et d'aider les entreprises, en assurant leur compétitivité et leur sécurité : plus performantes et mieux protégées, elles sont mieux à même de gagner des parts de marché partout dans le monde.

Cette préoccupation, largement partagée en Europe, commence à être prise en compte par la Commission européenne. Les récentes déclarations du commissaire européen à l'Industrie, préconisant la création d'un organisme européen contrôlant les acquisitions d'entreprises stratégiques par des ressortissants extra-européens, en sont la démonstration. Cette extension des limites géographiques de l'intelligence économique constitue, en ce début 2011, la "nouvelle frontière" de la discipline.

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