L'échec de Downing Street

Par Eric Albert, correspondant de "La Tribune" à Londres
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Les banquiers britanniques ne veulent plus se laisser intimider sur les bonus. Après deux années où ils ont fait preuve d'une certaine modération, ils ont cette fois-ci bien l'intention de tenir tête à Downing Street. Les dirigeants politiques britanniques ont pourtant essayé toutes les stratégies pour enrayer une nouvelle flambée des bonus. La douceur : « Les banques doivent faire plus d'efforts pour prouver leur responsabilité sociale. » (David Cameron, Premier ministre.) La menace : « Si les banquiers ne se comportent pas bien, (...) le gouvernement a comme possibilité d'imposer une forme de taxation. » (Vince Cable, ministre des Entreprises.) La supplication : « Les gens qui dirigent des banques nationalisées (...) doivent comprendre ce que ressent le contribuable britannique. » (Nick Clegg, vice-Premier ministre). Pourtant, rien n'y fait. Alors que la saison des bonus 2010 s'approche - la plupart d'entre eux seront annoncés en février et mars -, les analystes s'attendent à une forte progression des rémunérations. Pas en valeur absolue, dans la mesure où les revenus des banques d'affaires ont baissé en 2010. Mais la proportion du chiffre d'affaires versée en bonus devrait augmenter, repassant au-dessus de la barre des 40 % après deux années de modération en dessous de ce niveau.

Pire encore : Downing Street a essuyé un refus cinglant des patrons des grandes banques. George Osborne, le chancelier de l'Échiquier, les a rencontrés à plusieurs reprises ces dernières semaines pour leur demander de renoncer volontairement à leur bonus, comme ils l'avaient fait pour 2009. Ils ont catégoriquement rejeté la demande. D'autant plus qu'une grande partie d'entre eux sont nouvellement en poste, et que ce sont des banquiers d'affaires habitués à d'énormes rémunérations : Stuart Gulliver, le nouveau directeur général de HSBC, avait reçu 9 millions de livres (10,8 millions d'euros) l'an dernier, et Bob Diamond, le nouveau patron de Barclays, est l'un des mieux payés au monde. Tout juste seraient-ils prêts à renoncer à une partie de leur bonus. Gageons que cet « effort » ne sera pas suffisant pour faire taire le mécontentement populaire. Tout indique que les banques ont su habilement profiter de la première faiblesse du gouvernement britannique. Constitué d'une coalition entre conservateurs et libéraux-démocrates, celui-ci est divisé sur l'attitude à adopter : les premiers soutiennent instinctivement la City ; les seconds veulent au contraire faire un exemple avec les bonus. Mais les « lib-dems » sont au plus bas dans les sondages. De plus, Vince Cable, longtemps le porte-drapeau dans la lutte contre les banques, a commis une série de gaffes réduisant son influence. Les banquiers se sentent donc en position de force. Pourtant, le gouvernement dispose d'une occasion en or. En tant que principal actionnaire de Royal Bank of Scotland (84 %) et de Lloyds Banking Group (à 41 %), rien ne l'empêche d'interdire ces deux banques de verser des bonus. Mais il se refuse d'employer ainsi le bouton nucléaire. Pour une raison évidente, expliquée par David Cameron : « En tant que principal actionnaire de RBS, je veux pouvoir revendre ces banques au secteur privé pour que le contribuable retrouve son argent. » En d'autres termes, il accepte l'argument des banquiers : les bonus sont inévitables pour avoir un établissement financier compétitif. La City a gagné la bataille.

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