Tout est bancal, dans cette affaire Renault

Par Stéphane Soumier, rédacteur en chef de BFM Business.
Copyright Reuters

Je ne connais pas Michel Balthazard, le cadre dirigeant de Renault accusé d'espionnage, mais je reste saisi par une image : mardi dernier, souvenez-vous de la meute des caméras, des micros, devant le siège de Renault avant "l'entretien préalable des espions présumés" (entendu à la radio, [sic]). J'ai fait partie de cette meute, je sais qu'elle déclenche forcément un mouvement de recul quand vous y faites face. Elle est capable de dégager une violence inouïe pour arracher deux images et quelques phrases. Le réflexe classique, c'est de la contourner, parce que je vous assure qu'elle fait peur. Michel Balthazar a choisi de l'affronter. A-t-il reçu le moindre conseil ? Son avocat me dit que non. A-t-il réalisé, au moment où il parlait, alors qu'il se disait abasourdi par les accusations, a-t-il réalisé que 10 millions de personnes allaient le voir à 20 heures ? Sans doute pas. Mais par ce geste, il a radicalement changé l'ambiance autour de cette affaire.

Déjà, la "piste chinoise" résonnait de manière étrange. L'affaire venait d'émerger depuis deux jours à peine grâce à l'Agence France Presse et déjà sortait le nom d'une entreprise chinoise, China Power Grid Corporation, géant de la distribution électrique. On a même le circuit de l'argent qui aurait servi à rémunérer les "espions", des comptes en Suisse, au Liechtenstein, des intermédiaires à Malte. J'ai fait partie de la meute, et j'ai fait de l'information policière. Ce genre de circuits n'émerge habituellement qu'après des mois de travail d'un juge d'instruction, des mécanismes complexes d'entraide judiciaire. En l'occurrence, aucune plainte n'avait même encore été déposée.

Les experts me disent néanmoins que ces affaires, justement, ne ressemblent jamais aux affaires policières classiques : les entreprises tentent systématiquement la discrétion. Le pénal, en l'occurrence, ne sert à rien, les risques pour les éventuels espions ne dépassent que rarement l'incrimination d'abus de confiance. Or le sous-jacent est considérable. Tous les industriels que j'ai pu croiser ces derniers mois étaient catégoriques : jamais dans son histoire, l'automobile n'a dû affronter un tel défi. Jamais peut-être même l'industrie. La voiture électrique a-t-elle un avenir de masse ? Personne n'en sait rien, mais Renault a décidé de répondre oui. Les investissements sont énormes, "c'est incroyable, me disait un jour un concurrent, "Carlos Ghosn joue l'avenir de son groupe à pile ou face".

Dans ce cadre, les relations avec les partenaires deviennent vite un problème. Et l'un des points les plus invraisemblables de cette affaire, ce sont les déclarations du numéro 2 du groupe, Patrick Pélata : "aucune pépite technologique n'a pu filtrer en dehors de l'entreprise ; en revanche, nous estimons que des informations sur le modèle économique du programme peuvent avoir fuité." Si l'on pouvait, on diffuserait des rires enregistrés ! M. Pélata, tout le monde le connaît votre "business model" ! Vous nous l'avez donné lors du dernier Salon de l'auto. J'avoue d'ailleurs qu'il est génial. En gros, Renault démontre sa capacité à faire de l'électrique au prix du diesel, les coûts pour la location des batteries (le point critique) enfoncent la concurrence. Manque peut-être quelques détails, d'accord, mais valent-ils le risque d'un réseau d'espionnage ? En revanche, les "pépites" sont bel et bien stratégiques, et c'est... Nissan qui est en pointe pour les concevoir. Pas besoin d'être grand clerc pour comprendre l'impact possible sur la solidité de l'alliance.

Bref, dans cette affaire, tout est bancal, rien ne tient debout. Je le sentais confusément, mais c'est bien le visage de Michel Balthazard à la télévision, devant la meute, qui m'a révélé la fragilité de l'édifice. Coupable ou pas, je n'en sais rien, mais la stratégie est courageuse. Un homme qui se redresse, c'est toujours impressionnant.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 20/01/2011 à 9:12
Signaler
Si pour vous un business model se résume à quelques phrases énonçant des objectifs de coût et de prix de vente sans entrer dans les détails industriels, logistiques et commerciaux, je m'interroge quant à la pertinence de vos analyses économiques.

à écrit le 17/01/2011 à 9:49
Signaler
Effectivement rien n'est prouvé, tout ne peut sans doute pas être dit et tout est "bancal". Le plan de Renault n'est "génial" que s'il peut être tenu, notamment technologiquement. Mais s'il échoue, il faudra trouver des boucs émissaires.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.