Wendel : l'Autorité des marchés financiers fait primer les principes

En sanctionnant Wendel, l'Autorité des marchés financiers (AMF) rappelle qu'il ne suffit plus de respecter les règles particulières de transparence mais qu'il faut aussi se conformer aux règles générales. Une approche en phase avec les grandes évolutions de la réglementation.
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Les principes énoncés par l'Autorité des marchés financiers (AMF) à l'occasion de la montée au capital de Saint-Gobain par Wendel sont rassurants. Sans se prononcer ici sur le fond d'un dossier soumis à recours, ni sur le mérite des argumentations factuelles des uns ou des autres, il faut retenir ce précepte simple qui semble sous-tendre la décision de l'AMF : l'ingénierie financière, oui ; l'ingéniosité, non.

En l'espèce, l'AMF avait à statuer sur la légalité de ce que certains financiers appellent des "dark swaps". D'un usage croissant depuis une dizaine d'années, cette technique permet à un investisseur de constituer discrètement un stock d'actions entre les mains d'institutions amies tout en éludant les règles de transparence qui s'imposent à lui. Son objet est de préparer, loin des regards, des prises de contrôle rampantes, et d'éviter d'en payer le prix de marché.

La technique utilisée mérite de s'y arrêter un instant, pour en apprécier l'ingéniosité. Le droit prévoit l'obligation de déclarer le franchissement du seuil de 5 % du capital ou des droits de vote d'une société ainsi que, pour simplifier, les contrats permettant de franchir ce seuil. Les contrats dont le dénouement se fait en numéraire, qui ne permettent pas d'acquérir des actions, ne sont pas réglementés. Le jeu consiste alors pour un assaillant ingénieux à passer, par exemple, cinq contrats (les "dark swaps") avec des banques d'affaires, portant chacun sur 4,9 % des actions de la cible.

Les banques se couvrent de leur risque en achetant tout ou partie des actions correspondantes : étant chacune sous le seuil de 5 %, elles ne déclarent rien au marché. L'assaillant ne fait pas non plus de déclaration, les "dark swaps" étant à dénouement en numéraire. À l'échéance des contrats, les banques souhaitent revendre leur couverture et, le monde est bien fait, l'assaillant souhaite les acheter. Du jour au lendemain, ou presque, il est ainsi possible d'acquérir environ 25 % du capital d'une société sans avoir révélé ses intentions ni déclaré les seuils légaux de 5 %, 10 %, 15 % et 20 %. C'est comme au jeu de bonneteau : tout semble se passer au grand jour, quand soudain apparaît une information cachée qui enrichit les uns et appauvrit les autres.

La pratique est connue. Elle est même enseignée aux étudiants des grandes écoles et des universités. Mais elle suscite, de ce fait, une réaction : elle fait désormais l'objet d'une réglementation au Royaume-Uni et en Suisse ; aux États-Unis, si elle n'est pas réglementée par la Securities and Exchange Commission, elle est condamnée par la jurisprudence. En Europe, où la directive dite « transparence » est en cours de révision, un des chantiers est précisément celui de l'intégration obligatoire des "dark swaps" dans le périmètre des règles de franchissement de seuils. En France, au terme d'une réflexion approfondie ayant donné lieu à un rapport très complet, l'AMF avait demandé à Bercy une réglementation en la matière. Le ministère de l'Économie n'avait pas donné suite.

Dans ces conditions, sur quels fondements l'AMF a-t-elle pu statuer ? Avec l'élégance de la simplicité, elle est revenue aux principes fondateurs. Deux textes prévoient des obligations générales de transparence. En substance, l'un oblige celui qui prépare une opération financière significative à en avertir le marché ; l'autre sanctionne les délits d'initiés. Pour l'AMF, il ne suffit pas de respecter les règles particulières de transparence, il convient aussi de se conformer aux règles générales en la matière.

C'est, au fond, une application du principe "substance over form" que, de manière générale, l'on redécouvre en Europe comme aux États-Unis. C'est aussi une réitération des principes de transparence qui forment le coeur de la re-régulation financière : on les retrouve, aux États-Unis, dans la loi Dodd-Frank ; en France, dans la réglementation récente de la publicité des prêts-emprunts de titres ; et, dans l'Union européenne, dans la directive AIFM, qui régit désormais les fonds alternatifs, dans la proposition de règlement européen relative aux ventes à découvert, ou encore dans les projets portant sur les produits dérivés et sur la révision de la directive MIF relative aux marchés d'instruments financiers (celle-là même qui a permis la naissance des fameux "dark pools" dans l'ombre des lacunes réglementaires).

L'invocation par l'AMF du principe général de transparence est ainsi non seulement parfaitement fondée, mais encore pleinement en phase avec les grandes évolutions en cours. Cependant, si le recours aux principes forme un complément nécessaire aux règles détaillées, ces dernières demeurent utiles pour garantir la sécurité juridique des acteurs et l'application harmonieuse des valeurs que l'on souhaite défendre. Sur la base des seuls principes, le raisonnement factuel suivi par l'AMF dans le dossier évoqué ci-dessus n'est pas nécessairement reproductible à toutes les affaires de nature similaire. C'est la raison pour laquelle Bercy a finalement annoncé son intention de légiférer en la matière. Mais dans quel véhicule législatif ? Mystère. Affaire à suivre, donc, par tous ceux qui préfèrent l'ingénierie à l'ingéniosité.

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