Angela Merkel ou l'échec de la politique par le vide

L'échec de la stratégie de la chancelière allemande est aussi celui d'une génération de politiques européens, issue de la pensée des années 1990, pour qui le rôle du dirigeant se réduit à gérer et à accompagner l'évolution du monde.
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Chaque jour qui passe semble entamer un peu plus la crédibilité d'Angela Merkel. Plus personne, en réalité, ne comprend ce que veut ni ce que fait la chancelière. "Qui est Angela Merkel ?", pouvait ainsi s'interroger ce vendredi le quotidien économique Handelsblatt en faisant le bilan des promesses non tenues de la chancelière. L'amère facture de cette désillusion a été payée par la CDU lors des scrutins locaux de dimanche.

Pour comprendre la grandeur et la décadence de la chancelière, il faut sans doute tenter de répondre à la question que posait le "Handelsblatt". L'ancienne physicienne est-allemande est le produit politique de la chute du mur et de la pensée qui en est issue. Après avoir enterré les idéologies, et sans doute de peur de les voir ressurgir, l'impuissance de la politique a été alors proclamée. Dans ces conditions, le rôle d'un dirigeant est celui d'un simple gestionnaire, pour qui les choix clairs sont toujours suspects. Gouverner n'est donc plus prévoir, c'est simplement accompagner l'évolution du monde. Quiconque observe l'attitude de la chancelière lors des crises successives de l'euro l'aura remarqué : elle laisse le débat se développer, s'envenimer, s'aggraver même, sans jamais y participer autrement que par des discours incertains, abscons, d'où toutes les interprétations sont possibles. Mais lorsque la situation devient intenable, elle prend la décision imposée par l'urgence comme l'aide à la Grèce, la création d'un fonds de sauvegarde de l'euro ou son renforcement. Et si on le lui reproche, elle peut toujours s'abriter derrière la divine nécessité !

Cette tactique a pu être habile lorsque l'idée de l'impuissance du politique était dominante. Dans un pays comme l'Allemagne où, depuis 1945, on ne goûte plus guère les extrêmes, elle a même pu apparaître comme la forme aboutie de la politique du consensus. Nul ne s'est donc offusqué de voir celle qui, en 2005, s'était drapée dans la robe libérale de la Margaret Thatcher allemande s'entendre le mieux du monde avec les sociaux-démocrates de 2005 à 2009. Mais les temps ont changé. Avec la crise financière, les peuples européens veulent des politiques qui agissent. En Allemagne, l'excellent score des libéraux lors des élections de 2009, réalisé sur un programme de baisses d'impôts irréalistes, en a apporté la preuve. Les électeurs souhaitaient que l'action politique transcende le possible immédiat, agisse finalement sur le présent pour le modifier. Angela Merkel a joué de ce mouvement lors du scrutin, puis elle a mis à mort le projet de baisses d'impôts selon son habitude, après neuf mois de débats, en arguant d'une situation budgétaire déjà évidente en septembre 2009.

Un mouvement qu'elle a appliqué à l'ensemble du programme de la coalition dont il ne reste aujourd'hui pas grand-chose. Une grande partie de l'opinion s'est alors sentie trahie et flouée. Cette politique passe d'autant moins bien que les crises de l'euro ont encore amplifié le phénomène. Le dynamisme de l'économie allemande offre en effet à Angela Merkel une puissance inédite pour un chef de gouvernement en Allemagne comme en Europe. Mais la chancelière ne sait que faire de cette puissance. Rien ne la fera dévier de sa défiance vis-à-vis du rôle du politique. Dès lors, son ambition se résume à sauver sa position acquise et soigner sa popularité.

Mais comme cette popularité a été écornée par sa tactique temporisatrice, Angela Merkel n'a eu qu'une alternative conforme à sa vision impuissante de la politique. Se souciant peu de cohérence, elle a navigué au gré du vent, en tentant de satisfaire chacun. Et elle a bien sûr déçu tout le monde. Son « moratoire » sur sa propre loi sur le nucléaire en a été la preuve éclatante. Sans parvenir à faire oublier son passé pronucléaire, elle s'est mis à dos une partie de ses propres troupes, y compris l'ancien chancelier Helmut Kohl, sorti de sa traditionnelle réserve pour critiquer cette volte-face. Et quand le ministre de l'Économie lui-même a reconnu qu'il ne s'agissait là que d'une manoeuvre électoraliste, la réalité de la politique de la chancelière est devenue évidente. Le pire est sans doute que ce type de manoeuvre n'est pas isolé : la politique fiscale ou étrangère est frappée de la même courte vue.

Il sera difficile à Angela Merkel de modifier radicalement son mode de gouvernement. D'autant qu'elle est victime de son propre succès : l'élimination progressive de toutes les personnalités de droite de la scène politique lui assure une sorte de monopole sur la CDU. Celle-ci aura beau se débattre, elle est condamnée à rester le parti d'Angela Merkel. Le parti d'une idéologue de la non-idéologie dont l'échec est aussi celui de sa génération politique.

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Commentaire 1
à écrit le 29/03/2011 à 15:00
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Je trouve Romaric Godin bien sévère pour Angéla Merkel. Par exemple son virage à 180 degrés dans son attitude par rapport aux pays de l'Euro menacés de faillite est plus méritoire que critiquable. Seuls les imbéciles ne changent pas d'avis. Elle a co...

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