Réformons le droit en matière de prix de cession

Par Alain Garnier, associé chez Linklaters LLP. La jurisprudence récente a produit de nombreuses incohérences en matière de prix dans les opérations de fusions et acquisitions et a créé par conséquent une insécurité juridique dans les cessions de droits sociaux. Un toilettage des textes s'impose au plus vite.
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La question est posée par certains acteurs du marché, qui tentent sans succès de tirer une cohérence des textes actuels, tels qu'interprétés par la jurisprudence récente de la Cour de cassation.

Un rappel sommaire s'impose. En droit français, à peine de nullité du contrat de vente, le prix doit être soit déterminé, soit déterminable de façon mécanique et objective, c'est-à-dire sans qu'il y ait besoin d'un accord complémentaire entre les parties, et sans qu'une partie puisse avoir une influence sur le prix. Les clauses de prix (par exemple prix indexés sur le résultat d'exploitation, la marge, etc.) doivent donc être rédigées de façon très précise. À la différence de ce qui est prévu dans de nombreux autres pays européens, le juge ne se substituera jamais aux parties pour fixer le prix d'une vente ne prévoyant pas un prix déterminable.

À cet égard est assimilé à un prix déterminable un prix fixé par un tiers, indépendant des parties, si le recours à un tel tiers est contractuellement prévu. Aussi, afin d'éviter tout argument qu'un prix est indéterminable - et donc que le contrat est nul - au motif qu'il y aurait un différend entre les parties sur une clause de prix, les contrats modernes prévoient en général un recours à un tel tiers, dit « tiers de l'article 1592 du Code civil », chargé, en cas de difficultés d'application de la clause de prix, de l'interpréter en en respectant les principes et de fixer le prix en conséquence.

Le problème est que l'article 1592 du Code civil coexiste avec un autre article du même code, l'article 1843-4, qui prévoit également le recours à un tiers (nommé par le tribunal faute d'accord entre les parties), chargé de fixer un prix dans les cas (rares) où la loi impose une vente de titres (par exemple, suite à un refus d'agrément d'un nouvel actionnaire dans une société anonyme). Dans ces hypothèses de « cessions forcées », où un prix de vente n'a souvent pas été agréé entre les parties, il est bien sûr indispensable de donner au tiers le pouvoir de fixer le prix, faute de quoi la vente, imposée par la loi, ne pourrait intervenir.

Le champ d'application de ce dernier article a malheureusement été récemment étendu par la Cour de cassation à des cessions volontaires prévues par les statuts, et même, selon une lecture possible de la jurisprudence, à des contrats de cessions de titres dont le prix serait indéterminable (et qui devraient donc être nulles). La position de la Cour de cassation crée une insécurité juridique considérable, dans la mesure où elle considère que l'article 1843-4 permet au tiers de fixer le prix en toute liberté, sans qu'il soit tenu par les clauses de prix ou de valorisations agréées entre les parties.

Cette approche est incompatible avec notre droit de la vente. Rien ne saurait justifier qu'un tiers puisse interférer, contre la volonté des parties, dans la fixation du prix d'une vente de titres - sachant qu'il ne saurait avoir ce pouvoir s'agissant de la vente de biens autres que des titres.

Pour illustrer l'incohérence de la position actuelle, voici une synthèse des cas de figure, lorsqu'une contestation survient entre les parties sur le prix de cession de titres (par exemple en vertu de promesses de ventes, de clauses d'exclusion ou de clauses de sorties conjointes d'actionnaires), suivant si ces mécanismes de ventes sont inclus dans les statuts de la société concernée ou dans des contrats (contrats de ventes, pactes d'actionnaires) :

- mécanisme inséré dans des statuts (sauf pour la SAS) : le tiers (de l'article 1843-4) n'est pas tenu par les modalités de détermination agréées entre les parties, et peut fixer le prix librement ;

- idem, mais dans les statuts de SAS : le tiers (de l'article 1843-4) est tenu par les modalités de détermination agréées entre les parties, mais, si elles ne fonctionnent pas, peut fixer le prix librement ;

- mécanisme extra-statutaire (pactes d'actionnaires, promesses) prévoyant le recours à un tiers de l'article 1592 : le tiers est tenu par les modalités de détermination agréées entre les parties. S'il ne peut les interpréter, ou si elles n'ont pas de sens, la vente est nulle ;

- idem au cas précédent, mais s'il n'est pas prévu de recours à un tiers de l'article 1592 : si le prix n'est pas déterminable, la vente devrait être nulle. Il y a désormais un risque qu'un tiers (de l'article 1843-4) impose un prix qu'il fixe librement ;

- cession, quelle que soit sa nature, portant sur des biens autres que des titres : si le prix n'est pas déterminable, la vente est nulle. Il n'y a pas de risque qu'un tiers impose un prix.

Quel impératif d'ordre public justifie qu'une promesse extra-statutaire de vente de titres sans prix déterminable soit nulle, alors que la même promesse, incluse dans des statuts, sera valable, mais pour un prix fixé en toute liberté - voire impunité - par un tiers nommé par le tribunal ?

Quel impératif d'ordre public justifie qu'une vente portant sur des droits sociaux bénéficie ou supporte un régime tout à fait différent de celui des ventes d'autres biens ?

Pourquoi ne pas laisser purement et simplement le droit commun de la vente opérer dans tous les cas de figures de ventes non imposées par la loi, qu'elles soient prévues par des statuts ou des actes extra-statutaires ? Pourquoi ne pas donner plein effet à l'accord des parties, et au nom de quoi un tiers nommé par le tribunal peut-il se substituer à la volonté des parties ?

Un sérieux toilettage de la jurisprudence s'impose en la matière pour retrouver une cohérence.

 

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