La France manque d'une bonne boussole

Par Alain Madelin, ancien ministre.
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Aujourd'hui, face au nouveau monde, la France a assurément un problème d'orientation. La politique manque de sens et une classe politique déboussolée semble ne pas trop savoir où elle va, ni même où elle est. Les problèmes économiques et sociaux se ramènent aujourd'hui presque toujours à la promesse d'une bienveillante intervention de l'Etat. "Vous avez un problème ? L'Etat a une solution." Deux exemples au hasard de l'actualité : le logement est trop cher, disent les socialistes, il faut donc que l'Etat construise davantage et bloque les loyers ; les prix du gaz et de l'électricité augmentent, il faut que l'Etat en fixe le juste prix, nous dit le gouvernement ! Une telle approche passe à côté de la réalité et de la complexité du monde d'aujourd'hui.

Les nouvelles générations connaissent le test proposé par Facebook ("The world's smallest political quiz") pour indiquer leur sensibilité politique. Quelques questions, et vous vous retrouvez positionné sur un diagramme à deux dimensions : un axe horizontal traditionnel "gauche-droite", une verticale "plus ou moins d'Etat". L'approche bidimensionnelle d'un tel quadrant politique, élaboré par des chercheurs américains, Maddox et Lilie, rejoint les travaux du psychologue britannique Hans Eysenck. Dans tous les cas, il s'agit d'ajouter une dimension "confiance dans la liberté individuelle - confiance dans l'Etat" qui transcende l'approche gauche-droite. De la même façon que la boussole a permis la découverte et l'exploration de nouveaux continents, un tel quadrant politique est aujourd'hui indispensable à la compréhension du monde. A l'époque de la télévision couleur en 3D, la politique se doit d'abandonner le Noir et Blanc et de passer pour le moins en deux dimensions.

Cette prédominance de la dimension étatique s'explique par le fait que l'on a longtemps pensé que plus les choses devenaient complexes, plus elles devaient être rationnellement dirigées d'en haut. Cette idée a dominé tout le XXème siècle. Or, et la science et les réalités du monde, celles de l'interdépendance des hommes et du savoir à l'ère des réseaux nous disent que plus un système est complexe, plus il doit faire place à l'autonomie des éléments qui le composent. Plus la société est complexe, plus les hommes qui la composent doivent être libres et responsables. Pour comprendre le Nouveau Monde qui se construit - et agir sur lui -, il faut revenir à une distinction antérieure à l'apparition des notions de gauche et de droite. Celle qui nous dit dans la lignée de deux grands philosophes anglais, Hobbes et Locke, qu'il existe deux façons d'ordonnancer la société selon que l'on place la souveraineté - c'est-à-dire la source du droit et du pouvoir - dans l'Etat ou dans les personnes. Deux conceptions de la société et du pouvoir, qui opposent les partisans des droits de l'homme et les tenants de la force.

La chute du mur de Berlin a signifié la fin d'un monde dominé par la souveraineté des Etats sur les individus. La révolution du savoir numérique (Internet...) achève cette remise en cause des structures centralisées et pyramidales du pouvoir. C'est là une véritable révolution copernicienne pour une France sans aucun doute plus "addicte" à l'Etat que bien d'autres nations. Cette nouvelle dimension enrichit la traditionnelle distinction gauche-droite. Celle-ci, on le sait, trouve sa source dans un vote à l'Assemblée constituante de Versailles le 28 août 1789. Les débats qui portaient sur le droit de veto, c'est-à-dire sur les pouvoirs de l'exécutif monarchique, ont vu les partisans du droit de veto se regrouper à droite du président de séance. Ainsi, sans doute inconsciemment, une partie de l'assemblée s'est située à la place d'honneur, du côté de l'autorité, de l'ordre établi, "à la droite du père". L'autre partie, celle de la contestation de cet ordre, et de l'affirmation des droits individuels - protecteurs des plus faibles -, s'est retrouvée à gauche.

Dans une telle configuration historique, il est intéressant de noter que la gauche était libérale ou, ce qui revient au même, que les libéraux étaient de gauche. Par la suite, bien d'autres clivages sont apparus. Toujours est-il que, aujourd'hui, armés de notre quadrant, nous ne pouvons que constater le grand décalage entre un univers politique national presque tout entier situé dans un espace Ouest-Sud-Est, c'est-à-dire gauche et droite pointées ensemble vers le sud de la confiance dans l'Etat, et un Nouveau Monde qui, Ouest-Nord-Est, guidé par l'Etoile polaire de la confiance dans la personne. La reconfiguration est nécessaire et inéluctable. Dans le patrimoine historique et culturel de la gauche, il y a la confiance dans la liberté individuelle, dans le progrès et la volonté "émancipation" des personnes par rapport aux tutelles de toutes sortes. Rien de plus moderne. Dans le patrimoine historique et culturel des libéraux, affranchis des conservateurs, il y a le parti pris pour la défense des faibles contre les puissants, l'affirmation forte des droits individuels et la générosité sociale. Rien de plus nécessaire. Pour mieux comprendre le monde ou pour tracer de nouvelles routes, il est vivement conseillé d'embarquer ce précieux quadrant politique.

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Commentaire 1
à écrit le 19/05/2011 à 17:25
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Revenez en politique Monsieur Madelin Vos analyses et votre voix manquent trop à cette France qui doit bouger. Peut-être étiez vous en counter-timing, trop en avance (en même temps exprimer ses idées et ses convictions n'a rien à avoir avec des mode...

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