Les actionnaires n'ont aucun droit sur les profits

Par Jean-Philippe Robé, avocat aux barreaux de Paris et New York.
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Pascal Salin, dans son récent article sur "La grande illusion du partage des profits" (publié dans La Tribune du 19 avril), a fait un mauvais rêve. Il a rêvé qu'au détour d'une copie qu'il corrigeait (Pascal Salin est professeur émérite d'économie et la saison des examens approche) il tombait sur deux phrases de l'actuel président de la république : "il n'est pas juste que les actionnaires d'une entreprise touchent la totalité des profits. Je voudrais qu'on imagine un système qui fait qu'au moment où on augmente les dividendes les salariés en aient une partie aussi."

Zéro ! "Sans l'ombre d'un doute". Voilà la note que Pascal Salin aurait donnée à son étudiant-président qui "n'aurait absolument pas compris certaines bases fondamentales de l'économie".

Et Pascal Salin de nous rappeler "les principes de base du fonctionnement d'une entreprise". "Toute entreprise privée est possédée par un ou plusieurs propriétaires", écrit-il. Ceux-ci, ou leurs mandataires, signent toutes sortes de contrats (en ce compris des contrats de travail) qui génèrent des charges dont ils espèrent qu'elles seront plus que couvertes par le chiffre d'affaires réalisé. Ce qui permettra de dégager un profit, juste rémunération du "propriétaire-entrepreneur". Il y a là "un partage des tâches et des rémunérations qui correspond à la fois à la justice et à l'efficacité".

L'analyse de Pascal Salin peut être soutenue s'agissant de la boutique du coin de la rue. Elle est totalement fausse s'agissant des grandes entreprises, dont personne n'est "propriétaire-entrepreneur". Dans ces entreprises, les actionnaires - ce sont eux dont il est question dans la copie de son "étudiant", alors que Pascal Salin n'en parle jamais - ne sont propriétaires que des actions, pas de l'entreprise.

Il y a dans la grande entreprise une séparation stricte entre le patrimoine de la société et celui de chaque actionnaire. La raison en est simple : la responsabilité des actionnaires est limitée, ce qu'omet de préciser Pascal Salin. On dit couramment qu'elle est limitée à la valeur de leur apport, mais c'est un raccourci. En fait, les actionnaires n'encourent aucune responsabilité. Le risque que les actionnaires prennent en investissant est limité à la valeur d'acquisition de leurs actions : soit à la valeur de leur apport en cas d'investissement sur le marché primaire des actions (les actionnaires apportent des fonds ou des actifs à la société en échange d'actions qu'elle émet), soit au prix payé à un actionnaire vendant ses titres sur le marché secondaire. Notons au passage que, dans ce cas, il n'y a aucun apport réalisé à la société ni aucune contribution faite à l'entreprise par l'actionnaire. Est-il toujours un "propriétaire-entrepreneur" ? Propriétaire de ses actions, oui ; entrepreneur, non.

Dans la grande entreprise, c'est la société qui est propriétaire des actifs qui permettent de conduire l'activité de l'entreprise et de conclure des contrats avec les autres contributeurs à l'entreprise - dont les salariés. Ni les actionnaires ni "leurs mandataires" ne signent aucun contrat d'aucune sorte. Ce sont les mandataires sociaux qui le font, au nom de la société qu'ils dirigent, en vertu d'un mandat social au titre duquel ils doivent passer les contrats dans l'intérêt social, qui ne se réduit pas à celui des actionnaires. C'est la société qui "s'engage" - pas les actionnaires. C'est elle qui réalise les profits ou les pertes - pas les actionnaires. Et les actionnaires n'ont aucun droit sur les profits ; ils n'en ont que sur les dividendes, quand ils sont votés en assemblées d'actionnaires.

Mais Pascal Salin mélange allègrement les deux notions. Cette différence est pourtant le coeur du sujet : oui, il est possible de répartir différemment le résultat dégagé au niveau de la société. C'est un choix politique que la direction de l'entreprise peut faire ou qui peut lui être imposé par la loi. Il est bien sûr indispensable de rémunérer la ressource en capital dont dispose l'entreprise ; mais pas au titre d'un droit de propriété des actionnaires sur l'entreprise. Parce que le capital est une des ressources utilisées par l'entreprise et qu'il faut la rémunérer suffisamment compte tenu des risques pris par les actionnaires ; mais pas nécessairement par l'allocation de la totalité des profits. Point.

Il est donc fondamentalement faux de réfléchir par rapport à la grande entreprise et aux règles de partage du résultat qu'elle dégage comme si les actionnaires en étaient propriétaires. Et pourtant, un étudiant de Pascal Salin qui se risquerait à tirer les conséquences de la structure juridique réelle des entreprises aurait zéro. Il serait liquidé, éliminé d'un système académique de reproduction d'une idéologie. Plaignons donc les étudiants de Pascal Salin. Et allons hurler au fond des bois à l'idée que ceux qui auront réussi brillamment ses examens seront les économistes de demain...

Blog de J-Ph Robé : http ://www.globalization-blog.info/

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Commentaires 3
à écrit le 27/04/2014 à 14:03
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D'accord pour partager les profits, mais à condition de partager les pertes à la même hauteur, bien entendu ! Mais cette pratique existe déjà dans plusieurs grandes entreprise : en 2000, je pouvais acheter jusqu'à l'équivalent de 10% de mon salair...

à écrit le 27/04/2011 à 6:35
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Les juristes n'ont aucun droit sur les entreprises ! Une entreprise n'existe que PAR et POUR ses actionnaires. A tout moment, une entreprise peut être liquidée: ses actionnaires redeviennent individuellement propriétaires des actifs. Sa personnali...

le 28/04/2011 à 8:45
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Je ne sache pas que Robé ait écrit que les juristes avaient un droit sur l?entreprise... Dès qu?on démontre aux économistes qu?ils ne connaissent rien à l?entreprise, ils attaquent ! C?est pourtant simple : même en reprenant le raisonnement de txomi...

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