De l'utilité de la personnalité en politique

Avec l'affaire DSK, un nouvel acteur s'impose définitivement : la personnalité de nos gouvernants. Exit la démesure de l'ego, il s'agit désormais pour assurer une carrière de se forger une personnalité convenable.
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Hypermédiatisés, adeptes des réseaux sociaux, abonnés aux cabinets de communication, les politiques pensaient améliorer leur apparence et promouvoir leur image en se "peopolisant". Ils espéraient maîtriser les médias pour en tirer le meilleur profit. Mais, la machine s'est emballée. Le public n'est plus dupe, il ne se contente pas de cette superficialité, il veut maintenant consommer des états d'âme, des biographies en train de s'écrire, il est avide de passages à l'acte et d'émotions extrêmes. L'opinion, enivrée par les nouvelles technologies et l'omniprésence des caméras, exige la transparence et entend exercer son voyeurisme. Afin d'écrire elle-même l'histoire, elle est prompte à se réfugier dans la fascination pour les complots d'autant plus qu'elle a besoin de remplir le vide idéologique.

Les Français ont compris que les idées franchissent sans vergogne les anciens clivages politiques. Alors, ils se précipitent sur ce qui subsiste de l'écume des événements, à savoir leur côté spectaculaire. En introduisant de surprenantes bigarrures dans la fonction présidentielle, par un mélange de clinquant et de populisme, en désacralisant son rôle, Nicolas Sarkozy a initié le mouvement. Il a réussi à faire en sorte que ce qu'il "est" devienne au moins aussi important que ce qu'il "fait". Dorénavant, à propos des femmes et des hommes politiques, il ne suffira pas de parler d'un ego démesuré pour expliquer leur appétence pour le pouvoir. Avant de se lancer dans une carrière, il leur faudra bientôt se forger une personnalité convenable. Celle-ci va être décortiquée, soupesée à l'aune des trois formes d'exercice du pouvoir qui traversent la société : le sexe, l'argent et l'influence.

Mais, qu'est-ce qu'une personnalité ? Tout à la fois, le fruit d'une histoire, ce qui se pressent sous les apparences et se révèle lorsque les circonstances s'y prêtent, ce qui n'est jamais acquis et se remanie sans cesse au contact de la réalité. Notre époque aime les classifications, en l'occurrence, les psychologues ne se privent pas de définir une large gamme de types de personnalités, mais jamais ces grilles n'épuiseront la complexité de l'être humain. C'est une illusion de croire qu'une limite entre vie publique ou professionnelle et vie privée puisse être clairement tracée, la personnalité des intéressés ne s'embarrassant pas du respect de ce genre de frontière.

D'un côté comme de l'autre, chacun a tendance à rester ce qu'il est. Le naturel s'empresse de franchir les limites que lui imposent les conventions sociales. Sauf coup de théâtre, les tribulations judiciaires de DSK vont infiltrer la campagne présidentielle. Après tout, le temps du politique et celui du judiciaire se mêlent de plus en plus souvent. Les esprits vont avoir besoin de temps avant de réagir à la sidération produite par ce qui s'est passé à New York le 14 mai. A court terme, on va vers le passe-partout, l'absence d'aspérités. Les fondamentaux vont être remis au goût du jour, il s'agira d'être normal, voire même banal. Les idées vont peut-être y trouver leur compte. Mais ensuite ? Le sacro-saint principe de précaution, fidèle adepte d'un monde orwellien, va-t-il encore sévir ? Va-t-on soumettre tous ceux qui exercent des responsabilités publiques aux fourches Caudines des tests de personnalité pour écarter celles et ceux qui présentent trop de risques ? Seront-ils appelés, dans le futur, à être secondés par des machines qui ne seraient pas soumises à des états d'âme et surgiraient des meilleurs laboratoires d'intelligence artificielle ? Va-t-on encore cumuler des lois, comme on sait si bien le faire, et débusquer le moindre comportement déviant pour embastiller le contrevenant ?

Avec les meilleures intentions du monde, les uns comme les autres vont affûter leurs arguments, mais toutes ces réponses n'aborderont pas l'essentiel. L'essentiel, encore et toujours, c'est la morale. Non pas le puritanisme étroit et hypocrite d'une société qui croit qu'il suffit d'opposer le bien et le mal par des exhortations à la vertu et des lois de plus en plus contraignantes, mais plutôt la morale qu'on s'impose à soi-même, par exemple chaque matin au moment de se raser. La vraie question est de savoir si elle a encore sa place face au cynisme et à la morgue qui accompagnent la conquête du pouvoir. Il faut, en effet, une personnalité bien charpentée pour accepter ultérieurement des limites qui, par définition, ont été jusque-là surmontées sans vergogne.

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