Grèce, euro, dollar : un regard oblique sur la crise

Par Jaques Barraux, journaliste.
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Naguère, quand le franc était la monnaie des Français et le deutsche mark la monnaie des Allemands, critiquer la monnaie de son pays était considéré comme un délit. En France, cela s'apparentait à un crime contre l'État, à un acte de trahison. Le ton a bien changé dans les dix-sept pays de l'Union qui ont choisi de vivre sous le régime de la monnaie unique. Pour un Européen de l'Euroland, l'euro est aussi neutre que le dollar pour les habitants d'un pays de "zone dollar" hors États-Unis. La plaie ouverte par la coupure du lien entre la nation et la monnaie n'est pas refermée.

L'attaque contre l'euro - "mal en point","bientôt mort", "déjà mort" - reste le fonds de commerce d'une génération de chroniqueurs et d'économistes vivant de leur colère contre la "pensée unique". Leurs charges font écho aux canonnades quotidiennes du Financial Times et du Wall Street Journal, prophètes de la dislocation de l'euro depuis le jour de sa naissance et instigateurs de la mobilisation hystérique autour de la crise grecque. "Mal en point", "bientôt mort", "déjà mort"... comment, dans un tel climat, l'euro a-t-il pu devenir la deuxième monnaie de référence de la planète ?

Le destin d'une monnaie ne dépend ni de la politique ni des maîtres de la finance. Il dépend simplement de ceux qui trouvent commode de s'en servir à un moment donné, dans un endroit donné. Les industriels européens veulent croire que la « crise de la dette n'est pas la crise de l'euro ». Indifférente aux démonstrations de prix Nobel, la grande industrie est hostile aux fluctuations de change et aux dévaluations compétitives. Le patronat allemand, surtout, s'alarme des risques de scission entre un euro du Nord et un euro du Sud. Son argumentaire : "Imaginez ce que serait le niveau des exportations allemandes si l'Allemagne vendait à nouveau ses produits en deutsche mark à des pays à monnaie dévaluée." L'industrie laisse donc passer l'orage. C'est le sens du communiqué publié le 21 juin par une soixantaine de dirigeants allemands et français parmi lesquels les patrons de Siemens, Total, ThyssenKrupp, Capgemini, Bosch, Schneider, Michelin, BMW, Daimler ou Vivendi.

Les attaques de Wall Street et de la City contre l'Euroland peuvent produire un effet boomerang. Les agences de notation sont soumises à la doxa des gardiens du temple de la finance anglo-saxonne.

En prenant l'Europe du Sud comme cible de punitions sévères contre le dérapage des dettes publiques dans les petits pays, elles sont happées dans un engrenage de dégradations de dettes d'États qui devra bien les conduire à sanctionner le caractère intenable des déficits géants des États-Unis ou de la Grande-Bretagne. Alan Greenspan se dit « terrifié » par une dette fédérale qui dépasse le PNB d'une Amérique partie à la recherche de son or de Fort Knox...

Le pragmatisme financier des Brics, Chine en tête, renforce le caractère multipolaire de la mondialisation. Arbitrant entre le risque européen - son premier partenaire commercial - et le risque américain - son premier débiteur -, la Chine infléchit sa politique de réserves de change. De mois en mois, elle allège son portefeuille de bons du Trésor américain, socle de confiance fragilisé de la finance mondiale. Les autres puissances montantes de la planète, Brésil, Russie, Inde, Chine ou Afrique du Sud, tissent, elles aussi, des réseaux d'alliances et diversifient leurs stratégies d'investissement. Cet automne, leurs regards, comme ceux de tous les grands acteurs des marchés, ne seront pas tournés vers Athènes, mais vers New York et Washington. Là où est attendu l'épilogue de la crise mondiale déclenchée en 2008 par la faillite de Lehman Brothers.

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