Tarifs d'assurance et tour de poitrine

Par Arthur Charpentier. Réconcilier l'économétrie la plus austère à la pratique la plus ludique : tel est le challenge relevé par Jérôme Charpentier, polytechnicien, professeur de mathématiques à l'Université du Québec. Il a lancé son premier blog en 2008 pour ses étudiants avant de prendre, deux ans plus tard, le pseudonyme Freakonometrics, emprunté au best-seller "Freakonomics" de Levitt et Dubner, pour proposer une vision plus récréative de l'économétrie et ce, en réponse aux nombreux commentaires postés sur le premier blog. De la hausse de l'or au réchauffement climatique, de la grippe aviaire à la crise financière, peu importe le sujet, tout est passé à la moulinette de la modélisation et des corrélations... pour la plus grande joie des amateurs de paradoxes. (www.freakonometrics.blog.free.fr)
Copyright Reuters

Il y a quelques mois, la Cour européenne a pris position sur la discrimination en assurance, en interdisant de discriminer en fonction du sexe de l'assuré(e). L'idée pourrait sembler séduisante car l'assurance repose sur l'idée de mutualisation, et de solidarité entre les assurés.

"The contribution of the many, to the misfortune of the few ". Mathématiquement, c'est le théorème central limite.

Mais à cette mutualisation des risques, on oppose souvent le principe d'Akerlof qui pousse les assureurs à segmenter par classe de risque. En effet, George Akerlof nous explique qu'en l'absence de segmentation, le marché de l'assurance disparaît, les « bons » risques ne voulant plus payer pour les « mauvais » risques. Sans pour autant rentrer dans une spirale infernale de la segmentation, il est bon que les primes restent corrélées au risque sous-jacent. Et pour reprendre une terminologie chère aux assureurs, ils ne "font pas de la discrimination, ils font de la différenciation".

Car, pour avoir une prime liée au risque, on va chercher à segmenter le portefeuille en classes tarifaires et, à l'intérieur de ces classes, la mutualisation va pouvoir s'opérer. Par exemple, en assurance automobile, la prime payée par l'assuré dépend de sa fréquence de sinistre espérée pour l'année et du coût moyen des sinistres. On va alors chercher des classes tarifaires pour la fréquence, et pour le coût moyen. On peut ainsi utiliser l'ancienneté du véhicule, ou le nombre de kilomètres effectués (en moyenne) par le conducteur, ou encore le type de carburant utilisé (diesel ou essence), voire la couleur du véhicule pour modéliser la fréquence de sinistres. Pour modéliser les coûts, on pourra utiliser l'âge du véhicule. Pourtant, les actuaires ne démontrent pas de relation causale (par exemple, avoir une voiture rouge impliquerait une hausse de la fréquence de sinistres), mais observent simplement des corrélations statistiques. On retrouve ainsi que plus on conduit plus la probabilité d'avoir un accident augmente ; mais également que le carburant ou l'âge du conducteur peuvent être aussi des variables discriminantes, i.e. corrélées avec la fréquence de sinistres. Et parmi les variables qui semblent les plus significatives (pour modéliser la probabilité d'avoir un accident), il y a le sexe du conducteur principal. Et les assureurs européens avaient, jusqu'alors, pu pratiquer des tarifs différents "lorsque le sexe est un facteur déterminant dans l'évaluation des risques".

Or montre George Akerlof montre que, si une classe de risque n'est pas suffisamment homogène, l'assurance (et le principe de mutualisation) finit par ne plus fonctionner. Si le sexe est effectivement une variable fortement discriminante, des assureurs auront intérêt à le faire révéler à leurs assuré(e)s. Par exemple, s'il n'était plus possible d'utiliser l'âge des conducteurs pour tarifer (car c'est une variable très discriminante), il pourrait être intéressant d'utiliser l'ancienneté du permis de conduire (qui est un bon proxi de l'âge).

Nous avions vu sur ce blog qu'à partir des notes d'étudiant(e)s à différents examens à l'université de Rennes, on pouvait retrouver le sexe des étudiants. L'étude avait certes été faite sur un petit échantillon, mais de la même manière, il devrait être facile de trouver des variables permettant de deviner le sexe d'un conducteur. D'aucuns pourraient être tentés d'utiliser la pointure des chaussures, mais personnellement je préférerais le tour de poitrine, ou un tour de poitrine ramené à un tour de hanche. Je suis presque sûr qu'avec de telles observations, on peut avoir des variables fortement corrélées avec la survenance d'accident (car ce que cherchent les actuaires, ce sont simplement des variables corrélées) ! En tous les cas, ça promet un peu d'animation chez les agents d'assurances !

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.