Ray Anderson : l'écologie industrielle perd son champion

Pendant plus de quinze ans, Ray Anderson, le fondateur d'Interface, leader mondial de la moquette en dalles, s'est employé à réduire l'impact de son entreprise sur l'environnement en visant le « zéro impact » pour 2020. Avec son décès le 8 août dernier à l'âge de 77 ans, le développement durable perd l'un de ses pionniers.
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Il n'est de développement durable dans les entreprises que d'hommes. Certes, les processus et les systèmes de management comptent, mais ce qui fait avancer le sujet, au fond, c'est l'énergie de ceux qui mettent à son service leurs convictions et leur folle ambition. C'est ce que vient nous rappeler, tristement, la disparition de Ray Anderson, PDG fondateur d'Interface, leader mondial des dalles de moquettes, vaincu par un cancer à 77 ans.

Pionnier de l'écologie industrielle et du développement durable, Ray restera dans les mémoires comme l'homme qui fit d'un secteur industriel plutôt morne un terrain d'aventure passionnant pour sauver la planète. Car Anderson avait fait du développement durable sa raison d'être, et celle de son entreprise. Je me souviens avoir été frappée, dans une conférence que nous avions organisée en 2001, par l'émotion qui l'étreignait quand il racontait son histoire : lui, l'industriel, le pilleur de ressources (comme il se nommera plus tard), parlait de ce jour de 1994 où, sommé par ses équipes de donner une vision environnementale à son entreprise, et n'en ayant aucune à proposer sauf la conformité réglementaire, il ouvrit par hasard un ouvrage sur l'écologie et passa la nuit entière à pleurer en le lisant.

Il venait de prendre conscience que ce dont il était si fier (son entreprise devenue la première de son marché) pouvait être vu par d'autres comme un crime contre la planète et les générations futures (des produits faits avec du pétrole, incinérés après une vie trop brève et avec force émissions de CO2). Ce fut « une révélation, comme si la pointe d'un épieu m'avait traversé le coeur ». En l'écoutant, le public de chefs d'entreprises était pour moitié sincèrement touché, et pour moitié gêné par cette incursion de l'intime dans un propos « corporate ». Pourtant, seule cette crise personnelle peut expliquer l'ampleur de la révolution que lança ensuite Ray Anderson dans son entreprise - car celui qui commençait ses discours en disant qu'« un jour, peut-être, les gens comme [lui] seraient mis en prison » s'engagea à faire d'Interface « la première entreprise industrielle respectant entièrement les lois du développement durable ». Et sa croisade entrepreneuriale ne répondait pas uniquement à un intérêt bien compris, mais procédait avant tout d'un impératif éthique.

 

S'entourant des meilleurs experts mondiaux, Anderson entraîna toute l'entreprise dans ce changement de cap, s'attelant à mobiliser ses équipes (il aimait réciter le poème sur les générations futures qu'un de ses employés lui avait écrit) autant qu'à mesurer les progrès qui leur restaient à accomplir dans l'ascension du « Mount Sustainability » - une façon de dire qu'Interface n'avait fait que les premiers pas, alors que d'autres le voyaient déjà comme un leader.

En quinze ans, Interface a réduit très significativement ses émissions de CO2 (? 44 % depuis 1995), sa production de déchets (générant plus de 400 millions de dollars d'économies depuis 1995) et ses consommations d'eau (? 80 % depuis 1995), mais a aussi orchestré un virage exemplaire vers les énergies renouvelables (couvrant aujourd'hui 30 % des besoins du groupe) et les matériaux recyclés ou naturels (qui représentent 36 % des matières premières utilisées). À la pointe de pratiques innovantes comme le biomimétisme, qui s'inspire des modèles naturels dans la conception des produits, Interface fut aussi l'une des premières entreprises industrielles à faire le pari de l'économie de fonctionnalités avec Evergreen Lease, un système par lequel, plutôt que de vendre des dalles de moquettes, Interface les loue et en assure l'entretien, le remplacement, la récupération puis le recyclage.

Ces dernières années, Ray avait voulu formaliser de manière encore plus radicale l'ambition de son groupe, et s'était engagé dans une « Mission Zéro » visant à n'avoir plus aucun impact négatif sur la planète à horizon 2020 : une nouvelle fois, l'homme se posait en défricheur, montrant aux dirigeants d'entreprises que l'heure des engagements absolus a sonné... Car être juste un peu moins mauvais ne suffit pas à être bon.

Malgré son âge et la maladie, Ray Anderson était infatigable pour prêcher la bonne parole auprès de ses pairs (voir son intervention à TED en 2009), utilisant le succès d'Interface comme la preuve qu'une autre économie est possible. General Electric et d'autres reconnaissent volontiers qu'il leur a ouvert la voie. Son exemple n'a pas fini d'inspirer le monde industriel...

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