Au Gabon, une nuit de violences après la réélection d'Ali Bongo

Le verdict est tombé comme un couperet. L'insoutenable attente dans une ambiance  tendue a laissé la place à la délivrance pour 1,8 million de Gabonais : après le suspense des délibérations de la séance plénière qui ont duré plusieurs tours d'horloge, une fumée blanche s'est échappée après le long conclave de la Commission électorale nationale autonome et permanente (Cenap) qui aura tenu en haleine tout un pays. La nuit de mercredi à jeudi a été marquée par des violences à Libreville.
Ali Bongo Ondimba (ABO), président sortant du Gabon, a été réélu avec 49,80% à l'issue du vote du 27 août 2016. Mais l'opposition conteste le résultat du scrutin.

Article publié le 31 août 2016 à 22h, mis à jour le 1er septembre

Une victoire contestée et des actes de violences à Libreville

La victoire d'Ali Bongo à l'élection présidentielle du Gabon a déclenché une nuit de violences à Libreville. L'opposant gabonais Jean Ping, qui revendique lui aussi la victoire, affirme que des troupes ont pris d'assaut son QG de campagne, faisant deux morts et plusieurs blessés. Plus tôt dans la soirée, l'Assemblée nationale avait été incendiée.

Dès la publication des résultats, Jean Ping a accusé le camp présidentiel d'avoir fait gonfler les chiffres dans le Haut-Ougooué pour pouvoir s'assurer une avance. Au quartier "Charbonnage" qui abrite le QG de campagne de Jean Ping, des heurts ont éclaté entre des jeunes encerclés par des forces de l'ordre au "rond-point de la Démocratie" . Des canons à eau et des grenades lacrymogènes ont été engagés contre des manifestants qui mettaient l feu à des pneus et des morceaux de bois. Un ballet incessant d'hélicoptères et de voitures de police renforçaient la cacophonie dans une ville qui demeurait atone dans les heures qui précédaient la publication des résultats de l'élection présidentielle.

Le spectre des violences post-électorales de 2009 plane sur Libreville

En 2009, après l'élection d'Omar Bongo, des heurts se sont achevés en casses puis en affrontements avec les forces de l'ordre, et en incendie. Le bilan des blessés ne sera jamais connu. .

Peu avant 16 heures, ce mercredi 31 août, le ministre gabonais de l'intérieur, Pacôme Moubelet-Boubeya, avait annoncé que la centralisation des votes effectuée par la Cenap avait désigné le chef de l'Etat sortant, Ali Bongo Ondimba (ABO), vainqueur avec 49,80% des voix alors que son principal adversaire, Jean Ping était crédité de 48,16% des suffrages. Un résultat au coude-à-coude loin de sa large avance lors de la présidentielle de 2009 où Ali Bongo, succédant à son père, avait raflé 41,79% des voix devant Pierre Mamboundou et André Mba Obame avec respectivement 25,64 et 25,33%.

Dans le détail de ces chiffres du scrutin de samedi 27 août, ABO distance son rival d'une courte avance de 5 594 voix sur les 627 805 électeurs inscrits au total, avec un taux de participation de 59,46% au niveau national. C'est le dépouillement dans la région du Haut-Ogooué, fief de l'ethnie Téké à laquelle appartient le président Ali Bongo Ondimba, qui a fait pencher la balance en sa faveur. Il y a effectué une razzia de 95,46% des suffrages, avec une participation de 99,93% pour 71 714 inscrits.

Sur un terrain vague situé sur le "Jardin Botanique" de Libreville, un chapiteau surmonté d'un toit en forme pyramidale a été installé. C'est là que le président sortant a pris la parole pour dédier sa victoire aux jeunes portant des tee-shirts à son effigie, drapelets à la main et casquettes vissés sur la tête.

Débat sur la publication des résultats

Un rapport présenté pour le compte de la mission d'observation de l'Union européenne (UE) par l'eurodéputé bulgare, Mariya Gabriel, avait indiqué, lundi 29 août, que  "les conditions de vote ont été suffisantes dans les 260 bureaux de vote observés" mais que certaines anomalies avaient été relevées lors du vote. La mission européenne indiquait que le "la gestion du processus électoral a manqué de transparence". Elle avait réclamé une publication des résultats, "bureau de vote par bureau de vote". Une position adoptée par la France et les Etats-Unis dès l'annonce de la réélection du président sortant.

Dans une déclaration communiquée à la presse, Ban Ki-moon s'était quant à lui réjoui de la "tenue pacifique et ordonnée de l'élection présidentielle" et avait appelé les deux candidats à respecter la volonté du peuple gabonais, et à promouvoir la paix.

Une campagne électorale délétère

Un appel qui aurait dû être lancé depuis la campagne électorale. Si le scrutin s'est déroulé dans le calme, la campagne a été rythmée par des invectives, des polémiques et des arguties sans vraiment donner la priorité aux dossiers économiques et à la situation sociale difficile de cette "pétrorépublique" d'Afrique centrale, quatrième exportateur de pétrole du continent. Malgré la richesse en bois, le pays a été frappé par l'effondrement des cours du pétrol,e qui ont mis à mal sa capacité d'investissement et ont raboté les réserves de l'Etat.

C'est donc dans ce contexte que s'est déroulée l'élection présidentielle du 27 août. Celle-ci a mis aux prises 11 candidats qui convoitaient tous le fauteuil présidentiel du Palais du bord de mer à Libreville, et  628 124 électeurs devant les départagés. Mais deux favoris émergeaint de ce groupe.

 Un Plan stratégique Gabon émergent

D'un côté, il y a ABO, né Alain-Bernard Bongo il y a 57 ans, devenu, Ali Ben Bongo Ondimba (ABO) après sa conversion à l'islam. L'homme avait succédé, lors d'une élection présidentielle controversée, à son père Omar Bongo Ondimba, décédé après un règne de 41 ans - le deuxième en termes de longévité au pouvoir, après Fidel Castro.

Dès son accession au pouvoir, ABO prend le contre-pied de la gouvernance de son père, marquée par la gabegie, les privilèges et les prébendes. Son projet social se heurte cependant à une farouche opposition des caciques de l'ancien régime, mis sur la touche à la faveur d'un renouveau que le président veut incarner.

Pour se départir de son image tenace de "fils de son père", ABO lance le chantier des infrastructures avec la construction de routes, d'hôpitaux. Des chantiers résumés, une semaine avant le scrutin, dans son bilan présenté dans un document de 132 pages intitulé "Plan stratégique Gabon émergent (PSGE)", et sous-titré un "Panorama des réalisations 2009-2016".

Face aux attaques sur sa filiation et sa légitimité, le président sortant se taille un costume de jeune pour sa campagne électorale qu'il confie à NationBuilder. Cette plateforme américaine lui offre un tout en un avec un site Web, un outil de dons en ligne et, surtout, une base de données de contacts. Des personnalités comme Donald Trump, ou encore AirBnB ou Amnesty International comptent parmi les clients de cette agence américaine spécialisée dans la mobilisation et le marketing politique

Deux hommes, deux styles de communication

 Une armada d'étrangers, spécialistes de la communication ou l'événementiel, complète l'équipe de campagne d'Omar Bongo. "C'est une façon pour le candidat-président d'avoir plusieurs regards sur son image. Il faut un regard gabonais pour le national et un regard étranger pour coordonner les messages", nous confie un membre de son équipe de campagne, tout en précisant que 80% de ses membres sont de nationalité gabonaise. Sur le plan politique, c'est l'ancien journaliste français de RFI, Vincent Garrigues, qui fait fonction dr "Spin doctor" d'Ali Bongo. En d'autres termes, c'est l'homme qui lui "susurre à l'oreille" en matière de marketing politique.

Face à Ali Bongo, un homme de la vieille garde, un ancien du sérail d'Omar  Bongo. Métis de 73 ans, né d'un père chinois installé dans le pays depuis les années 1920 et d'une mère gabonaise, Jean Ping connaît bien les arcanes du pouvoir pour avoir été plusieurs fois ministre dans le gouvernement d'Omar Bongo, notamment aux Affaires étrangères et aux Finances. L'homme politique septuagénaire dépasse les clivages politiques et cultive des accointances familiales. Pendant longtemps, Jean Ping a été le compagnon de Pascaline Bongo Ondimba, la sœur d'Ali Bongo, avec laquelle il a eu deux enfants. La mère des enfants de Jean Ping n'est autre que l'argentière de la famille Bongo, et exécutrice testamentaire d'Omar Bongo.

Un Dallas au Gabon

Président de la commission de l'Union africaine de 2008 à 2012, il est candidat  à sa propre succession à la tête de l'organisation continentale à la fin de son mandat. Mais, Ali Bongo refuse de le soutenir, et c'est en par les journaux que Jean Ping apprend que sa candidature ne sera pas soutenue par son pays. Un affront que l'ancien président de l'Union africaine compte relever en se présentant à la magistrature suprême face à son ancien beau-frère.

L'élection prend des allures de la série américaine "Dallas", dont un épisode se jouait à Libreville. Déterminé à éjecter Ali de son fauteuil, Jean Ping sillonne le pays et prend la tête d'une coalition d'opposants issus de la vieille garde, notamment avec le soutien de Guy Nzouba Ndama, président de l'Assemblée nationale pendant dix-neuf ans, et l'ancien premier ministre Casimir Oyé Mba, mais aussi un cousin du président sortant, Léon-Paul Ngoulakia et, à la dernière minute, le ralliement du candidat indépendant Roland Désiré Aba'a Minko.

La coalition d'opposition axe dans un premier temps sa communication sur la filiation du président sortant - le président est accusé d'être un Biafrais adopté par Omar Bongo - et conteste sa légitimité à être élu. Jean Ping gagne en popularité à la faveur de ses alliances politiques et réussit à équilibrer le jeu de pouvoir. La suite de la stratégie de communication de la coalition  est de prendre par surprise, le parti au pouvoir.

Bien avant l'annonce officielle des résultats, le candidat de l'opposition, Jean Ping, 73 ans, qui s'est auto-proclamé "élu", multipliant les conférences de presse pour réclamer la victoire, appelant même les populations à la "défendre par tous les moyens". Il faut dire que l'ancien président de l'Union africaine, qui détenait un système de décompte compilé des résultats, a été rattrapé par un scandale qui a entaché sa crédibilité : lors d'une conversation téléphonique dévoilée dans les réseaux sociaux, Mamadi Diané aurait également suggéré à Jean Ping de provoquer la démission de certains membres de la Cenap pour "provoquer une pagaille totale"

L'élection gabonaise a passionné l'Afrique centrale, une région où l'alternance politique se fait rarement sans heurts. Ses résultats auront tenu en haleine un pays d'un peu plus de 1,8 millions d'habitants. Des résulats qui ont divisé la capitale entre partisans pro-Bongo et pro-Ping face à un verdict contesté. Les dés ne sont pas définitivement jetés, puisque Jean Ping peut saisir dans les dix jours la cour constitutionnelle pour contester les résultats.

À Libreville, où se trouve le Palais du bord de mer, cœur du pouvoir au Gabon, les habitants sont enfermés chez eux pendant qu'une partie de la ville est le théâtre d'actes de pillages et de casses. Aujourd'hui, les Gabonais souhaitent savoir une seule chose : savoir quand tout va renter dans l'ordre.

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Commentaires 3
à écrit le 01/09/2016 à 12:26
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SOUVENT LES DICTATEURS SONT ELUS AVEC DE SCORES DE 99%ET PLUS CE QUI N EST JAMAIS POSSIBLE DANS LES VRAIS DEMOCRATIE ? BONGO NE VEUT PAS LAISSE SONT POUVOIR? I L EST UN DICTATEUR ? UN PAYS NE PEUT PAS APARTENIR A UNE FAMILLE OU A UNE CASTE S IL VEUT ...

à écrit le 01/09/2016 à 12:26
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SOUVENT LES DICTATEURS SONT ELUS AVEC DE SCORES DE 99%ET PLUS CE QUI N EST JAMAIS POSSIBLE DANS LES VRAIS DEMOCRATIE ? BONGO NE VEUT PAS LAISSE SONT POUVOIR? I L EST UN DICTATEUR ? UN PAYS NE PEUT PAS APARTENIR A UNE FAMILLE OU A UNE CASTE S IL VEUT ...

à écrit le 01/09/2016 à 10:01
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Quel gâchis et encore pour des magouilles électorales, avec 99,93% de taux de participation on a un record mondiale pour une démocratie. Cela donne seulement 50 personnes qui ne sont pas allées voter dans la région du président (que l'on donne les no...

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