Le renouveau de Marseille par la culture

Avec le Mucem, qui présente une série d'expositions intéressantes, Marseille monte en puissance dans le domaine culturel. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Dès son ouverture, en 2013, année de Marseille « capitale européenne de la culture, le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée -le MUCEM- suscita curiosité et intérêt. La prouesse technique de l'architecte, Rudy Ricciotti, et l'emplacement à l'entrée du Vieux Port, sur la mer, attirèrent le public, généralement admiratif.

Le succès ne se dément pas, les visiteurs, marseillais ou touristes, étaient nombreux à monter vers le fort Saint Jean, admirablement restauré, et à descendre à la queue leu leu la passerelle qui conduit au musée. Il est vrai que le soleil de printemps et la lumière de la Méditerranée étaient au rendez-vous. Il est vrai aussi, qu'en dehors du point de vue, il y avait beaucoup à voir, trois expositions de qualité.

 La première, qui se terminait, s'intitule « Made in Algeria ». Pourquoi La langue anglaise ? Est- ce un sous-produit de notre mauvaise conscience de colonisateur ? Le sous-titre « Généalogie d'un territoire « indique que la carte géographique est au cœur de l'exposition. La démonstration savante est convaincante. Tout processus de conquête s'accompagne d'une invention cartographique. Sans cartes, pas d'invasion et d'occupation durable.

Dès le seizième siècle, l'Algérie a intéressé les explorateurs européens et les grandes puissances et la cartographie des côtes et des rivages a facilité les premiers bombardements d'Alger et des ports. La cartographie devient plus précise, lorsqu'il s'agit de préparer l'occupation du pays, comme le montre la « Reconnaissance générale d'Alger » réalisée en 1808, à la demande de Napoléon, par le colonel Boutin. C'est à partir de ce document que fut conçue la Prise d'Alger en 1830 : débarquement sur la presqu'île de Sidi-Ferruch et montée directe vers le « Fort l'Empereur » en évitant la ville.

Pour progresser vers l'intérieur, les soldats français se font cartographes et topographes. Des brigades topographiques tracent des chemins de reconnaissance. Le maillage topographique du territoire s'étend, vers l'intérieur et aussi vers l'ouest et l'est en vue d'unifier une occupation faite à partir des ports. Les « blancs » sur les cartes ne représentent pas des espaces vides mais des espaces méconnus, parfois délibérément s'agissant de propriétés appartenant à des Arabes. Ces cartes serviront pour les opérations militaires contre Abd El Kader.

Le volet militaire est doublé d'un volet propagande. Les succès militaires doivent conforter les pouvoirs politiques, à la recherche d'un succédané à la légende napoléonienne, et convaincre une opinion des bienfaits de la colonisation. Des peintres sont mobilisés. C'est l'époque où Louis- Philippe aménage à Versailles le musée de l'histoire de France dédié « à toutes les gloires » Il passe de nombreuses commandes pour illustrer les hauts faits du règne. Ces peintres, de bons professionnels, sont généralement très proches des militaires. Beaucoup de toiles sont des illustrations triomphalistes des victoires militaires. Certaines nous renseignent sur le relief, les paysages, les habitants. D'autres, plus ambitieuses, signées des plus célèbres peintres de l'époque, Delacroix et Horace Vernet sont de facture orientaliste. L'Algérie, ce sont des territoires immenses, étendus et vides qui attendaient d'être mis en valeur. La peinture est au service d'un projet politique.

Parallèlement à l'occupation, beaucoup de noms de lieux et de villes sont francisés, une large place est faite aux Gouverneurs, généraux et aux autres gloires de la colonisation. Un embryon de cadastre est constitué, en vue d'attribuer progressivement des terres à des Français venus de métropole.

A partir de la troisième république, l'approche par les cartes perd de son intérêt, sauf pour le Grand Sud, et l'exposition aussi.

Elle ne fait pas oublier l'exposition du cinquantenaire en 2012, tenue aux Invalides. Plus globale et moins scientifique, elle traitait de toute l'histoire de 1830 à1962, incluant aussi bien le Royaume Arabe de Napoléon III que la guerre d'indépendance. En dehors d'une indulgence certaine à l'égard du Général de Gaulle, elle était équilibrée.

Celle de 2016 semble bien accueillie en Algérie. El Watan lui a consacré un long article. Et l'excellent dossier pédagogique constitué par le Mucem devrait permettre une information dépassionnée dans le public scolaire français

 Un Picasso glaneur et recycleur d'objets

Jouxtant la première exposition, Picasso. Le public se presse pour découvrir un Picasso glaneur et recycleur d'objets. Mettez dans sa main n'importe quel matériau et il en fera un objet d'art, qu'il s'agisse de bois, d'osier, de métal, de linoléum, de coton, de terre cuite. Quelle inventivité ! Il assemble, découpe, colle, fond, tout seul ou avec l'aide d'artisans. Cela devient des objets de la vie quotidienne : des jouets, des bijoux (argent) des pots ou des plats, une chèvre (la fameuse du Musée Picasso) ou une guenon (la guenon en métal fondu a été faite à de petites voitures, jouets de ses enfants)

La vie quotidienne l'inspire en permanence : le cirque et les marionnettes, la tauromachie et le sport , le vêtement féminin, coiffes comprises.

Le Mucem a su faire venir de nombreuses œuvres venant de collections privées, moins connues que d'autres. Cette performance était nécessaire pour un musée pauvre en collections propres.  L'exposition s'intitule « Un génie sans piédestal » Le premier mot n'est pas de trop.

 Genet, militant anti-colonialiste

 La troisième exposition se tient en dehors du Mucem, dans un des bâtiments du Fort Saint Jean. Jean Genet mourait il y a trente ans. Le lieu est adéquat pour évoquer Jean Genet (l'Echappée belle). Enfant, il rêvait de palmiers et à 13 ans, il brulait de quitter l'Europe. Sa fascination pour les pays méditerranéens ne s'est jamais démentie. Son dernier combat fut pour la cause palestinienne. Ce militant anticolonialiste est enterré au Maroc.

L'éternel rebelle, le délinquant quasi-professionnel, le provocateur permanent fut sauvé par ses amis, Cocteau, Sartre, Giacometti, présent à l'exposition. Ils étaient en admiration devant cette langue puissante, imagée, violente. Ses scandales, notamment ceux suscités par ses pièces de théâtre, dont Les Paravents, sont longuement rappelés aux côtés de Jean Louis Barrault qui les mit en scène. Ils suscitent aujourd'hui de l'indifférence. Reste la langue, notamment celle de la poésie et des romans, qui n'a pas vieilli,même si la répétition des scènes de sodomie finit par lasser.

 A quelques mètres de Jean Genet, se jouait en plein air une sorte de pièce de théâtre. Le romancier libanais Charif Nadjalani présentait ses derniers romans et dialoguait avec un critique. « Caravansérail » peut être lu comme un retour d'Ulysse, Ulysse étant un jeune libanais revenant chez lui, du temps de Fayçal d'Arabie et du colonel Lawrence, avec comme bagage un palais démonté en petits morceaux, qui ne sera jamais remonté. Le thème de la guerre et de la violence à Beyrouth est omniprésent dans « Histoire de la grande maison » et « Villa de femmes » 1995 Dans ce dernier roman, des femmes doivent seules faire face aux milices pour défendre leurs personnes et leurs biens après la mort du chef de famille. Le public assis sur des marches écoutait avec attention.

Pierre-Yves Cossé/ Mai 2016

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