Empreinte digitale

HOMO NUMERICUS. La consommation d'énergie liée au numérique participe au dérèglement climatique. Passée la prise de conscience, des solutions concrètes allant dans le sens d'une plus grande sobriété numérique doivent être pensées et mises en œuvre. Par Philippe Boyer, directeur de l’innovation à Covivio.
Philippe Boyer
« La part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre a augmenté depuis 2013 de 2,5 % à 3,7 % du total des émissions mondiales. », soit presque autant (2,8%) que ce que la flotte mondiale d'avions de ligne a pu émettre au cours de l'année 20182.
« La part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre a augmenté depuis 2013 de 2,5 % à 3,7 % du total des émissions mondiales. », soit presque autant (2,8%) que ce que la flotte mondiale d'avions de ligne a pu émettre au cours de l'année 20182. (Crédits : Peter Dazeley/Getty)

« Nous veillons à réduire notre consommation de papier. Je vous adresse votre facture par mail ». Il aura fallu cette phrase prononcée par le vendeur d'une enseigne d'électroménager pour que mon smartphone se mette presque aussitôt à vibrer à l'annonce de l'arrivée d'un nouveau message. Ma preuve d'achat venait de me parvenir tout en me rappelant que cette politique de dématérialisation de factures avait permis, au cours des dernières années, d'éviter la destruction de milliers d'arbres. Passé ce salutaire rappel écologique couplé à ce satisfecit non dénué d'arrière-pensées marketing, l'éveil de la conscience écologique des clients de cette enseigne aurait pu franchir un cap supplémentaire. Pour cela, supposons-le, quelques lignes auraient pu être ajoutées pour parfaire cette conscience environnementale : « Nous vous incitons à conserver ce document électronique sur votre ordinateur. Sachez cependant que si vous vous décidiez à le stocker sur un serveur (cloud), vous seriez à l'origine de l'émission d'environ de 10 grammes de CO² annuels

Empreinte carbone de la high-tech

Il faut dépasser le cadre de cette anecdote personnelle pour replacer ce sujet dans un ensemble plus large, celle de l'empreinte carbone de la high-tech. Depuis quelques années, gouvernements et ONG alertent sur cette empreinte numérique difficile, d'un simple coup d'œil, à cerner. Pourquoi se soucier de ce que produit une requête internet ou le visionnage en streaming d'une vidéo alors que toutes ces actions semblent aujourd'hui si naturelles, voire innocentes... Pourtant la chose est connue : le numérique est de plus en plus vorace en énergie. Dans une étude récente, The Shift Project1, think-tank de la transition carbone, avait conclu que si le numérique est bien sûr un levier de développement économique et social, il n'empêche que ses impacts environnementaux directs et indirects demeurent encore largement sous-estimés : « La part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre a augmenté depuis 2013 de 2,5 % à 3,7 % du total des émissions mondiales. », soit presque autant (2,8%) que ce que la flotte mondiale d'avions de ligne a pu émettre au cours de l'année 20182. Le numérique c'est aussi l'utilisation des 10% de l'électricité mondiale (dont 4% liés à l'activité des serveurs)3. Pour être encore plus concret, passer dix minutes à consulter un fichier dans le cloud équivaut à une consommation électrique équivalente à celle d'un smartphone pendant dix jours.

Sobriété numérique

C'est pour aller vers plus de sobriété numérique que certains parlementaires français4, sensibilisés à ce bilan carbone associé à la transition numérique, ont proposé des mesures concrètes telles que l'interdiction aux sites comme You Tube de lancer automatiquement une deuxième vidéo après consultation de la première ou encore que les navigateurs internet puissent afficher un indicateur de l'empreinte carbone cumulée à l'instar de sites de compagnies aériennes ou de train qui indiquent aux clients l'impact carbone de leurs voyages. Dans le même esprit, The Shift Project a soumis l'idée d'un « Référentiel Environnemental du Numérique (REN) ». Via une base de données publique, sur le modèle de celle développée par l'Ademe en matière de carbone5, il s'agirait d'indiquer l'impact de tâches numériques courantes.

La Tech doit prouver qu'elle est porteuse de solutions environnementales

Pris dans sa globalité, et pour que son empreinte environnementale baisse à l'instar des engagements pris par les autres secteurs économiques très sensibles à cette question (mobilité, construction...), le secteur de la Tech devra se réinventer pour limiter son empreinte digitale future.

Qu'il s'agisse de la maîtrise de la consommation énergétique des data centers (ils absorbent près de 19 % de l'énergie consommée par le numérique), de la limitation de la consommation de vidéos en streaming, du recyclage de nos smartphones - ces derniers embarquent près de 40 métaux différents dont certains très rares comme le praséodyme ou le terbium - ou encore de la limitation des besoins énergétique de la technologie Blockchain du fait que celle-ci requiert une puissance de calcul considérable nécessaire à la sécurisation de ses transactions, le numérique se trouve face à un véritable dilemme : d'un côté, les technologies digitales facilitent nos vies, voire apportent des innovations au service de l'environnement mais de l'autre, elles ont un indéniable impact climatique.

Certes, et pour résoudre cette impossible équation, il faudra plus que jamais miser sur toutes les formes d'énergies renouvelables. A charge pour ces dernières de fournir cette demande croissante en électricité nécessaire pour faire fonctionner nos machines. Mais, cela suffira-t-il quand la presque totalité des sept milliards sept cents millions d'habitants actuels, et, à horizon 2050, les neuf milliards d'habitants auront accès à internet ? On peut en douter. Il faudra alors traiter le problème à la source en s'attachant avant tout à promouvoir une évidente sobriété numérique de tous. Sur ce sujet, beaucoup reste à faire, à commencer par convaincre le vendeur de cette chaine d'électroménager qu'un justificatif d'achat en papier recyclé aurait tout aussi bien fait l'affaire.

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NOTES

1 https://theshiftproject.org/article/pour-une-sobriete-numerique-rapport-shift/

2 https://www.futura-sciences.com/planete/questions-reponses/pollution-transport-co2-part-emissions-1017/

3 https://lejournal.cnrs.fr/articles/numerique-le-grand-gachis-energetique

4https://droit.developpez.com/actu/287477/Les-deputes-veulent-que-les-internautes-puissent-mesurer-l-impact-environnemental-de-l-acces-au-reseau-afin-d-avoir-une-meilleure-idee-de-leur-empreinte-carbone-grace-au-projet-de-loi-anti-gaspillage/

5 https://www.bilans-ges.ademe.fr/

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Philippe Boyer

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Commentaires 5
à écrit le 22/02/2020 à 11:49
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Quand je visionne une vidéo. Pourquoi le site génère -t-il autant de données sur moi ? Je ne l'ai pas demandé. Pourquoi quand je n'utilise pas mon téléphone autant de données sont générées sur moi ? Je ne l'ai pas demandé. Etc. Je ne suis pas maî...

à écrit le 22/02/2020 à 10:10
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L’énergie du vide de l’espace est gratuit , la question est la suivante : est ce que les champs magnétiques augmentés par l’utilisation du Wifi et des smartphones dans le monde terrestre influence les données, les paramètres originels des lois quanti...

à écrit le 21/02/2020 à 20:05
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Un data center placé en Suède ou Norvège pour profiter de l'eau de mer fraîche évitant d'utiliser une clim aérienne énergivore, est-ce plus vertueux que ceux placés ailleurs ? Réchauffer l'eau de mer de 0,0001°C ou l'air de 30°C, ce sont des calories...

à écrit le 21/02/2020 à 19:55
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Je ne pense pas qu'il faille s'inquiéter outre mesure de cette pollution, ça fait partie de la vie. Réduisons plutôt notre natalité.

à écrit le 21/02/2020 à 17:15
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oui, Greta Langstrumpf ne hurle pas que chaque fois qu'elle tweet sa haine, elle tue plein d'ours blancs! les jeunes veulent des solutions, tant que ca coute rien! not in my backyard ca serait marrant de couper internet, pour voir comment tous ces ...

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