J'ai trouvé ma voie

HOMO NUMERICUS. Le GPS est notre boussole pour presque tous nos déplacements. On délègue à la machine chacun de nos pas jusqu'à notre destination finale. La cartographie devient la nouvelle bataille technologique de la mobilité. Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.
Philippe Boyer
Égaré dans le dédale urbain, le piéton ou l'automobiliste se laisse faire en écoutant cette voix qui lui demande de se fier intégralement à elle en acceptant d'abandonner, le temps du guidage, son libre arbitre : « Je m'occupe de tout », promet la machine. On la croit sur parole.
Égaré dans le dédale urbain, le piéton ou l'automobiliste se laisse faire en écoutant cette voix qui lui demande de se fier intégralement à elle en acceptant d'abandonner, le temps du guidage, son libre arbitre : « Je m'occupe de tout », promet la machine. On la croit sur parole. (Crédits : Reuters)

Si la pandémie nous a montré l'inutilité de bien des voyages, il n'empêche que beaucoup d'entre nous n'attendons qu'une chose : ouvrir nos fenêtres sur le grand large, nous intéresser à d'autres pays, d'autres coutumes... Dit autrement, nous décentrer et pouvoir enfin ré-élargir nos horizons en nous projetant au-delà de ce rayon des dix kilomètres qui, jusqu'à très récemment, bornaient notre champ d'action. D'ici peu, souhaitons-le, il nous sera à nouveau possible de nous arracher à la quiétude de notre petit monde en voyageant, expérience humaine s'il en est.

Libres de presque tous nos mouvements, bien que sans doute encore obligés de porter un masque et de présenter un passeport vaccinal qui attestera que l'on est un voyageur « sain », nous devrions pouvoir à nouveau pérégriner en partant à l'aventure. Qu'ils soient lointains ou proches, nul doute que bon nombre de ces futurs voyages se réaliseront à l'aide de cette « ligne de vie » qui, désormais, accompagne presque chacun de nos déplacements tellement le service proposé est simple et intuitif : le GPS.

Des machines nous dirigent

Égaré dans le dédale urbain, le piéton ou l'automobiliste se laisse faire en écoutant cette voix qui lui demande de se fier intégralement à elle en acceptant d'abandonner, le temps du guidage, son libre arbitre : « Je m'occupe de tout », promet la machine. On la croit sur parole. Revers de la médaille, la souveraineté du conducteur, qui n'a plus besoin de personne pour savoir où et comment se rendre là où il veut aller, s'obtient aux dépens de son initiative. GPS est devenu prophète.

Presque infaillible car connaissant tous les recoins de la carte et du territoire, ce « global positioning system », inventé dans les années 1950, par une géniale mathématicienne américaine, Gladys West[1], nous guide. Il nous démontre que le hasard n'a pas sa place lorsque l'on choisit de confier sa destinée à une machine programmée pour, coûte que coûte, nous amener à destination. Le drapeau à damier, symbole de notre point d'arrivée, confère à nos déplacements, la valeur d'une victoire, comme si tous les voyages, professionnels ou touristiques, ne faisaient plus qu'un et ne devaient se mesurer qu'à l'aune de la meilleure façon d'optimiser le couple « distance-temps ».

Esprit de vagabondage

La machine ne sait pas (encore) distinguer si l'humain derrière le volant a fait appel à la « voix » pour simplement aller d'un point A à un point B, et cela de la façon la plus rationnelle possible, ou s'il entend mettre en pratique les enseignements de Robert Louis Stevenson, l'auteur du récit « Voyage avec un âne dans les Cévennes[2] » qui écrivait que s'il veut profiter véritablement des paysages, le promeneur « doit devenir comme un roseau offert à tous les vents ». Dans sa quête à produire des machines qui tendent à lui échapper ou pour le moins à volontairement aliéner une partie de ses libertés, le GPS est à la mobilité ce que Shiva est au panthéon indien : une déesse dotée de multiple pouvoirs capable de supprimer les retards, d'apaiser la conduite et d'adoucir les déplacements. On en oublierait presque que, pour être libre, il faut aussi savoir cultiver en soi un certain esprit de vagabondage.

Bataille pour la maîtrise des cartes

Le marché de la carte géographique et des données de déplacement est un sujet aujourd'hui exploité par la quasi-totalité des grands acteurs technologiques et de la mobilité. La bataille est intense, compte tenu des enjeux. Ces derniers ne portent plus seulement sur le seul guidage d'itinéraires mais sur la capacité de ces acteurs économiques à optimiser, en temps réel, la gestion des flux de tous les modes de transports disponibles : réseaux de transports en commun bien sûr, mais également scooters, vélos en libre-service, trottinettes, flottes de voitures... Autant de données de mobilité qu'il faut capter puis retranscrire dans des applications de mobilité. Le rachat de Mappy par la RATP à la fin de l'année dernière ou le fait que Huawei lance son alternative à Google Maps (Petal Maps) sont autant de preuves que la cartographie prend une dimension stratégique pour qui entend maîtriser les nouveaux services dits de « MaaS », acronyme de "Mobility as a Service", soit, en bon français, « expérience de mobilité intermodale ». Le MaaS a pour objectif de faciliter les trajets en optimisant les informations disponibles sur plusieurs supports afin que les utilisateurs aient, à portée d'applications et en temps réel, le meilleur choix de leur mobilité.

GAFAM et BATX cartographient le monde

Outre la présence d'algorithmes et de technologies d'intelligence artificielle capables de suggérer des combinaisons de transports, la brique essentielle repose sur la cartographie, si possible en trois dimensions. L'objectif final étant de créer des cartes numériquement reconstituées (jumeau numérique) qui servent de référentiel pour aider les machines à comprendre leur environnement. L'objectif étant aussi de permettre aux appareils de décrypter le monde physique qui les entoure afin de mieux assister les utilisateurs tout en, dans le même temps, alimentant en données les futurs systèmes de conduite autonome. Google, Microsoft Facebook ou encore Niantic (créateur de Pokémon Go), ainsi que les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi, acronyme des quatre plus grandes entreprises technologiques de Chine) développent presque tous leurs propres solutions de cartographies augmentées. Demain, ce double numérique du monde sera un évident avantage compétitif pour qui voudra capter les données de déplacements sous toutes leurs formes.

Voyages virtuels

Si le GPS et tous les autres systèmes de cartographie ne sont pas près de disparaître de notre quotidien du fait que nous ne pouvons presque plus nous passer d'eux pour nous déplacer, d'autres technologies, toujours plus perfectionnées, apparaissent en nous faisant voyager virtuellement. Via un casque de réalité virtuelle agrémenté d'hologrammes connectés en temps réel, il est désormais possible d'organiser des réunions à distance ou de visiter des lieux touristiques, que ces derniers soient virtuels ou réels.

Pronostiquons que, lorsqu'il sera éventuellement possible de toucher ces paysages artificiels, nous serons alors transportés totalement dans un « autre » monde. Une question demeurera : celle de savoir si, dans ce monde-là, exclusivement virtuel, nous aurons encore besoin d'un GPS pour trouver notre voie...

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NOTES

1Gladys West, mathématicienne américaine connue pour ses contributions aux systèmes de positionnement par satellites (lire sa biographie)

2 Voyage avec un âne dans les Cévennes, par Robert Louis Stevenson (1879) [À noter: le film de Caroline Vignal réalisé en 2020, « Antoinette dans les Cévennes », s'inspire du voyage de Stevenson]

Philippe Boyer

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