La laideur se vend mal !

HOMO NUMERICUS. Les nouvelles technologies modifient notre rapport au corps. La satisfaction de son image virtuelle l'emporte sur son image réelle au point d'imposer une tyrannie de la beauté. Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.
Avec ou sans filtre
Avec ou sans filtre (Crédits : DR)

Raymond Loewy (1893-1986), l'un des fondateurs du design industriel américain, avait un crédo : esthétiser notre monde en créant des objets de la vie quotidienne qui soient à la fois beaux et pratiques. On lui doit de multiples créations à l'instar des logos des marques Shell ou Lucky Strike, des produits dérivés pour Coca-Cola, les formes arrondies du réfrigérateur le plus célèbre auprès des ménages américains : le modèle « Coldspot » de Roebuck & Company, vendu à des millions d'exemplaires ou encore les formes aérodynamiques et recouvertes d'aluminium des fameux bus américains Greyhound qui sillonnèrent le pays pendant des décennies.

Bref, Loewy porta haut les valeurs du design et du « beau » à un tel point qu'il théorisa son art dans un ouvrage autobiographique intitulé : « Never Leave Well enough alone », habilement traduit en français par « La laideur se vend mal ». Steve Jobs, fondateur de la marque à la pomme, était un admirateur de Loewy. En prenant un soin vétilleux à penser la simplicité, l'harmonie et le design de ses ordinateurs et téléphones, il avait déclaré : « Nous avons créé des icônes si jolies que vous aurez envie de les lécher », façon de dire que l'esthétisme était devenu un objet de consommation de masse.

Miroir déformant des écrans

Cette obsession de la beauté ne touche plus seulement les objets industriels ou technologiques. Cette quête du beau et de la beauté, vieille comme le monde, se transforme désormais en une poussée narcissique planétaire, tendance tyrannique, du fait du miroir déformant des écrans. Alors que les réseaux sociaux viennent de franchir la barre symbolique des cinq milliards d'utilisateurs, les valeurs hédonistes triomphent. Sur YouTube et Instagram, des millions de tutoriels décrivent, souvent au moyen de ses codes de sa carte bancaire..., les voies et moyens qui permettent de passer de la laideur à la beauté.

Soigner son image numérique

La technologie, par le biais des filtres et de la qualité des objectifs qui équipent nos smartphones, dicte sa loi au point que les marques de cosmétiques adaptent leurs produits pour tenir compte de la qualité des images produites. Sans parler l'apport de l'intelligence artificielle (IA) qui permet déjà de délivrer des conseils beautés, réaliser des diagnostics de peau via l'acquisition de produits personnalisés ou d'essayer virtuellement les produits recommandés, à l'instar des développements de L'Oréal présentés lors du dernier CES à Las Vegas.

Au-delà du maquillage, la chirurgie esthétique fait sa loi au point que parfois, cette volonté de se créer une image numérique si différente de son visage dans la vraie vie, peut tourner au cauchemar. Les très nombreux cas de charlatanisme esthétique, à l'instar de blépharoplasties, chirurgie des paupières qui donne un air plus éveillé, sont régulièrement relatés dans les pages « justice » des journaux.

Avec ou sans filtres

L'idée que le visage dans la vie réelle soit différent de celui que l'on diffuse au monde, est communément admise par les plus jeunes générations pour qui, transformer son physique pour le rendre plus en rapport avec les canons de beauté attendus est une motivation suffisante pour avoir recours à toutes sortes de filtres, voire de philtres.

Pour autant, le succès récent de BeReal, a de quoi redonner espoir dans le sens ou cette application se présente comme un réseau social « anti-Instagram », cherchant à ce que les photos publiées soient prises sur le vif, c'est-à-dire sans préparation, ni filtre qui transforment l'apparence de la personne.

Dans son prolongement, la mode de la « beauté naturelle » semble également faire de plus en plus d'adeptes, en référence à la manière d'être de Pamela Anderson ou de Michelle Pfeiffer, deux stars qui n'hésitent plus à apparaître en public sans maquillage, comme délivrées du fardeau de la dictature de l'égo.

Narcisse à la sauce IA

De telles tendances résisteront-elles à la déferlante de l'IA qui envahit notre quotidien et s'insère dans presque tous nos objets numériques ? Serons-nous soumis à de nouveaux canons de beauté du fait que notre image fera de plus en plus partie de cette consommation esthétisée ?

S'il est encore trop tôt pour pronostiquer sous quelles formes l'IA impactera l'univers de la beauté, on peut être certains que nous rentrerons dans un nouvel âge où le « beau » sera soumis à un registre toujours plus émotionnel, plus expérientiel et plus ludique. Bref, toujours plus narcissique, car les machines nous renverront une image toujours plus idéalisée de nous-mêmes. C'est sûr, la laideur se vend mal.

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Commentaires 2
à écrit le 08/02/2024 à 20:02
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Vous traitez, en fait, du virtuel. Si votre image est satisfaisanr dans les réseaux (a-)sociaux, elle ne résistera pas à une confrontation "réelle. Sauf à ce que l'humanité évolue vers un système "sans aucun contact dans la vraie vie".

à écrit le 08/02/2024 à 9:26
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Publicité, publicité qu'as tu fait de mon Monde ! ,-)

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