« Un mauvais système, mais le moins mauvais de tous »

HOMO NUMERICUS. Les outils existent pour augmenter la démocratie et réassocier les citoyens aux décisions publiques. Une urgence face aux populismes qui menacent nos démocraties déjà fragilisées. Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.
(Crédits : Reuters)

Il faut faire un peu de spéléologie dans les archives parlementaires britanniques pour trouver la date et les circonstances de la fameuse citation passée à la postérité : « La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes ».

À la Chambre des Communes en ce 11 novembre 1947, Sir Winston Churchill se trouve en séance et son propos porte sur les vertus de la démocratie parlementaire, quand bien même, le reconnaît-il, cette forme de régime politique présente d'inhérentes faiblesses. Le « Vieux Lion » sait de quoi il parle, car, deux années plus tôt, aux élections générales de 1945, il a dû céder son poste de Premier ministre au Travailliste Attlee.

Certes, le peuple britannique lui redonnera les reines du pouvoir quatre années plus tard, mais en attendant Churchill digère sa défaite électorale en admettant que l'on n'ait rien inventé de mieux que ce régime politique.

Régressions démocratiques

Nul besoin de rappeler qu'en ce début de XXIe siècle, la démocratie est en danger. Un récent rapport de l'organisation intergouvernementale Idea souligne que c'est la sixième année ininterrompue d'un recul évident de ce régime politique et qu'à fin 2022, un pays sur deux dans le monde était en déclin démocratique. Outre les cas de prises de force du pouvoir, de conflits et d'insurrections, de nombreux autres indicateurs sont passés au crible : recul de la liberté d'expression et de la représentation politique...

Selon ce rapport, cette détérioration observée est « exacerbée par l'érosion des contre-pouvoirs formels (élections, parlements, tribunaux) qui peinent à faire respecter la loi ».

À cette liste, il faudrait ajouter les excès et la libération de la parole sur les réseaux sociaux ou encore l'activisme et l'influence d'États étrangers illibéraux, voire dictatoriaux, qui œuvrent pour affaiblir les démocraties en pénétrant dans le champ public.

Bref, de nombreuses menaces qui accentuent le discrédit du politique par les opinions publiques au point d'inciter les électeurs à s'abstenir ou à se réfugier dans les extrêmes. Ce constat global est malheureusement connu sans que l'on sache vraiment comment l'endiguer et partant, comment « augmenter » la démocratie.

Impliquer le citoyen aux décisions publiques

On ne compte plus les écrits sur cette désillusion démocratique. Face à ce constat, la question posée est toujours la même : comment régénérer la démocratie ? Si la question est simple en apparence, la réponse est complexe à mettre en œuvre.

À chaque fois, l'enjeu central consiste à réengager les citoyens à la vie démocratique et aux décisions publiques, c'est-à-dire à faire vivre les piliers de nos démocraties représentatives qui reposent à la fois sur la notion de souveraineté (qui appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants) et de République (gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple) ainsi que le précisent les préambules de nombre de constitutions.

Renouveler la boîte à outils démocratique

Que faire donc pour tenter de réenchanter la démocratie au-delà des outils politiques « classiques » que nous connaissons déjà ? : élections, référendums, dispositifs techniques à l'instar de saisines d'institutions tierces, à l'exemple de la QPC, question prioritaire de constitutionnalité, qui permettent à tout justiciable de contester une loi qui empiéterait sur ses droits fondamentaux...

Ces dernières années, et en écho au fonctionnement des plateformes numériques qui donnent indistinctement la parole à chacun, on a vu se multiplier de nouvelles formes de démocratie directe sous les traits de conventions citoyennes ou d'outils numériques. Au titre de ces derniers, et parmi de nombreuses initiatives connues sous le vocable de « Civic Techs », on citera la toute récente mise en ligne de la plateforme « Agora » destinée à dialoguer avec les membres du gouvernement.

Quant aux conventions citoyennes, bien que n'étant que consultatives du fait que dans une démocratie libérale, le pouvoir appartient aux élus et non à un petit groupe de personnes, celles-ci permettent néanmoins d'inventer de nouvelles formes de concertation sur des sujets dont la portée intéresse l'ensemble des citoyens. On se souvient des récentes initiatives de ce type ayant pour sujet le climat (2019) ou la fin de vie (2023). Cette dernière convention citoyenne ayant été pilotée par le Conseil économique, social et environnemental) conformément à sa mission de carrefour de la participation citoyenne.

La donnée et l'IA au service de l'action démocratique

À côté de ces outils directs, présentiels et/ou numériques qui contribuent à « aérer » le débat démocratique, il en est un autre qui, bien exploité, recèle d'importantes potentialités : l'utilisation de la donnée.

Couplée à des stratégies de marketing destinées à s'adresser à telles ou telles catégories de citoyens en fonction de leurs préoccupations, la data « peut contribuer à régénérer la démocratie et au rapprochement entre élus et citoyens », précise Hugues Charpentier, pionnier du marketing politique et co-fondateur du cabinet spécialisé EAGGLE. Au fond, et ayant recours à ce type d'analyse extrêmement fine rendue possible par l'exploitation d'un très grand nombre d'informations sur les comportements politiques, les élus disposent de ressources précisent capables de cerner les attentes de leurs concitoyens.

En tirant parti de l'analyse méthodique de ces données, que celles-ci soient politiques, sociologiques, démographiques... les élus disposent d'un gisement d'informations parfois insoupçonnées qui permettent d'imaginer les conditions d'une démocratie locale plus participative, en connexion avec les attentes de leurs concitoyens. Bref, il s'agit ni plus ni moins que d'utiliser ces nouvelles ressources numériques, en ce compris l'intelligence artificielle notamment sur le sujet de la lutte contre la désinformation, en les orientant au service du renouveau démocratique.

Sans sombrer dans un pessimisme nihiliste et encore moins s'avouer vaincus, difficile de ne pas constater que la démocratie n'est pas dans sa meilleure forme. Pourtant, même imparfait, ce régime politique demeure le moins mauvais de tous. Dit autrement, il a de l'avenir à condition qu'il s'adapte et qu'il évolue.

À son endroit, c'est encore Winston Churchill qui disait que « pour s'améliorer, il faut changer. Donc, pour être parfait, il faut avoir changé souvent ». Cet adage serait à suivre pour que nos démocraties regagnent du souffle et parviennent à devenir presque parfaites. Nous n'avons pas d'autre choix que de tendre vers cet idéal...

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Commentaires 2
à écrit le 13/11/2023 à 18:26
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Le populisme ne veut rien dire sinon culpabiliser son interlocuteur qui essaye de comprendre, par contre vouloir utiliser l'informatique auquel personne n'a confiance n'est pas une solution !

à écrit le 13/11/2023 à 16:23
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Avec le recours systématique au 49.9 le président nie l'existence du parlement et par là même la voix des électeurs qui ont élu les députés. En ce qui concerne la vie démocratique elle commence pour tout un chacun par un investissement personnel dan...

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