Transition énergétique : comment mobiliser les financements privés

Le financement de la transition énergétique passe par la mobilisation du secteur de la finance. S'il est nécessaire, le signal prix, via une hausse du carbone, est insuffisant. Il faut actionner d'autres leviers. Par Paul Codani (Supelec, Chaire Armand Peugeot) et Carine Staropoli, Paris School of Economics, Université Paris 1)
Taxer le carbone à un prix élevé ne suffira pas à orienter les financements privés vers lvers la transition énergétique

Le 18 juin, Pascal Canfin et Alain Grandjean remettaient au Président de la République François Hollande le rapport de la commission Canfin-Grangean chargée de mobiliser les financements pour le climat. Cette commission a été constituée en février dernier dans la perspective de la 21ème conférence mondiale sur le changement climatique (COP 21) en décembre 2015 à Paris, et alors que la loi sur la Transition Energétique était toujours en discussion au parlement.

Dépasser les schémas classiques

Comme l'illustrent les propositions de cette commission, et en réponse à la feuille de route qui leur avait été fixée, la problématique du financement dans le contexte actuel de tension sur les finances publiques implique de faire preuve d'imagination, de dépasser les schémas classiques et de trouver des outils de financements innovants. La Conférence de l'Association des Economistes de l'Energie organisée en coopération avec le Ministère de l'Ecologie et du Développement Durable et de l'Energie qui s'est tenue le 28 mai a permis de revenir sur les enjeux, les promesses et les obstacles de ces nouveaux outils grâce à la participation d'un panel de praticiens diversifiés, impliqués à des degrés divers dans la mise en œuvre de ces nouveaux outils : Alain Grandjean (Carbonne 4), Olivier Houdaille (Lumo), Benoit Leguet (CDC Climat Recherche) et Philippe Zaouati (Mirova/ Natixis Asset Management).

Les fonds publics insuffisants

Le premier constat, mis en avant par tous les participants, est que la transition énergétique requiert des investissements conséquents (évalués par Nicolas Stern à 100.000 milliards de dollars) qui ne pourront pas être uniquement supportés par des fonds publics. Ces investissements se feront qu'ils soient « verts » ou pas. Nicolas Stern évalue en effet les besoins de financement dans un scénario "marron" à 89.000 milliards, et dans un scénario "vert" à 93000 milliards. Cela implique à la fois de mobiliser les investissements privés et d'orienter convenablement les investissements existants, c'est-à-dire vers les secteurs « positifs pour le climat ». Alors que les investissements publics devront être portés par les banques publiques, les financements privés peuvent venir aussi bien des banques commerciales, des investisseurs et des fonds de pensions que des initiatives de financement locales ou participatives (comme le crowdfunding et les autres dispositifs de la finance participative que sont les dons purs, les dons contre contrepartie, les prêts et les financements en titres).

 Un sous investissement

Pourquoi ces fonds privés ne sont-ils pas encore entrés dans le jeu, comme escompté ? Selon Alain Grandjean, les économistes ont commis une erreur de jugement en considérant le secteur de la finance comme une entité neutre ; le simple fait de fixer un prix du CO2 « adéquat », c'est à dire bien supérieur à celui qui existe sur le marché actuel faute de volonté politique, permettrait d'orienter automatiquement les investisseurs vers les projets « verts »/ décarbonnés. Mais cela ne s'est pas avéré suffisant, comme le reconnait Benoit Leguet qui cite une étude réalisée par la CDC Climat recherche qui évalue, pour la France, à 22 milliards d'euros les investissements financés en 2011, alors que les besoins s'élèvent à 50 milliards.

Cet écart peut sembler substantiel et difficile à surmonter, mais le problème peut être abordé sous un autre angle, plus optimiste : la formation brut de capital fixe s'élève pour la France à 400 milliards d'euros, il suffirait donc d'orienter 5% de cette somme en investissements verts pour atteindre les objectifs fixés.

Le secteur de la finance ne réagit pas au seul signal prix

Il ne faut donc pas se leurrer sur la rationalité du secteur de la finance qui ne réagit pas au seul signal-prix. Pour mobiliser les investissements privés, il faut jouer sur les 3 types de motivations qui guident l'investissement responsable : la première est économique et repose sur les risques climatiques réels de long termes qui pèsent sur certains actifs ; la deuxième est financière et se rapporte à la rentabilité des investissements, compte-tenu des signaux-prix sur le carbone; la troisième motivation est morale et oblige à faire sortir les financiers de la neutralité dans laquelle ils se sont installés, en les impliquant directement dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Le prix du CO2 ne suffit pas, il faut actionner d'autres leviers

.C'est pourquoi il est nécessaire d'actionner d'autres leviers que celui du prix du CO2. Parmi eux, la complémentarité entre les investissements publics et privés doit être encouragée. C'est le rôle de la BEI ou du Plan Junker que d'impulser une dynamique en investissant sur des projets d'infrastructures décarbonées avec l'intention d'entrainer en complément les financements privés. A plus petite échelle, c'est la logique de la finance participative telle qu'elle est pratiquée par Lumo dans le cas des énergies renouvelables qui peut permettre de mobiliser des fonds privés au plus près des projets de dimension locale.

Une évaluation transparente de l'empreinte carbone des projets et investissements

Ces solutions reposent sur une évaluation transparente de l'empreinte carbone des projets et investissements. A ce niveau, se pose la question des méthodes d'évaluation et de la volonté de divulguer l'empreinte carbone des portefeuilles d'investissement des investisseurs quels qu'ils soient. Philippe Zaouati est en particulier revenu sur les initiatives récentes (Sommet pour le climat organisé en septembre 2014 à New York sous l'égide de Ban Ki Moon, Montreal Carbon Pledge) qui, en affirmant l'impact du changement climatique sur le portefeuille financier des investisseurs, ont conduit à avancer sur la nécessité d'accroitre la transparence.

La difficulté de l'évaluation vient du fait que si celle-ci est relativement maîtrisée à l'échelle d'un projet, elle est beaucoup plus complexe à mettre en œuvre pour des portefeuilles d'actifs financiers. Il faut donc progresser dans la mise au point d'indicateurs fiables. Les acteurs publics doivent agir pour identifier les produits financiers positifs pour le climat, imposer une transparence sur l'évaluation des produits, ce qui permettra aux acteurs (y compris les consommateurs) de modifier leur comportement en réaction aux signaux envoyés. Ces nouvelles règles devraient remplacer une régulation aujourd'hui inefficace pour inciter les investisseurs privés à s'engager à la hauteur des enjeux de la transition énergétique.

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Commentaires 6
à écrit le 18/09/2015 à 8:26
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Tous les économistes sont d'accord pour changer de modèle, mais il faudrait d'abord changer les économistes.

à écrit le 18/09/2015 à 7:54
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Il ne s'agit pas d'augmenter le prix de l'énergie, mais de réduire le cout du travail en augmentant le prix de l'énergie. Cela correspond au double dividende de Mireille Chiroleux-Assouline

à écrit le 17/09/2015 à 13:45
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La rentabilité d'un projet est d'autant meilleure que le cout du travail est plus faible et le prix de l'énergie plus élevé.

à écrit le 17/09/2015 à 13:32
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Augmenter le prix de l'énergie, c'est comme un ascenseur. Mais réduire le cout du travail en augmentant le prix de l'énergie, c'est une balançoire. Vous faites la différence?

à écrit le 17/09/2015 à 13:25
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Il faut tout simplement utiliser la taxe sur l'énergie pour réduire le cout du travail, à niveau constant. Reprenez votre raisonnement.

à écrit le 17/09/2015 à 12:54
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En arrêtant le virtuel couteux et improductif, et en promouvant des innovations créatrices de valeur ajoutée, et pas seulement de fonctionnaires pour en parler.

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