Derrière les tensions en mer de Chine, un double enjeu pétrolier

Les tensions entre Beijing et Washington, à propos d’ilots de la mer de Chine du sud, sont liées à la présence de pétrole dans la région. Mais aussi au fait qu'ils contrôlent une route stratégique pour les importations pétrolières chinoises

La montée de la tension entre Beijing et Washington à propos des îles Spratley, en Mer de Chine du Sud, intervient après que la Chine a dépassé les Etats-Unis comme premier importateur mondial de pétrole en avril. Par-delà le hasard de calendrier, les ressources en hydrocarbures de la zone, et la sécurisation des importations pétrolières de la Chine, sont au cœur de la question.
Les échanges fermes entre le secrétaire d'Etat américain John Kerry et le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, le week-end dernier à Beijing, sont venus souligner la tension à propos des îlots Spratley - ou Nansha (« [bancs de] sables du Sud ») en chinois.
Aux Etats-Unis, qui lui reprochent d'attiser les tensions régionales en construisant des infrastructures portuaires et aéroportuaires sur ces récifs disputés, la Chine a répondu qu'elle agissait dans son « périmètre de souveraineté ».


Revendications concurrentes

La définition de cette souveraineté, englobant des îlots situés à 1.100 kilomètres de Hainan, la grande île qui constitue la plus méridionale des provinces chinoises, pose bien sur problème aux autres pays riverains de la Mer de Chine du Sud, dont les propres revendications sont en concurrence avec celles Beijing.
Ilots minuscules, les Spratley sont dangereusement surpeuplés sur un plan militaire : le Vietnam en occupe ou contrôle une vingtaine, la Chine et les Philippines chacun une dizaine, la Malaisie quatre, le sultanat de Brunei deux, et Taiwan un. Et si les infrastructures chinoises construites aujourd'hui focalisent l'attention, elles ne sont pas seules : Taiwan, la Malaisie et le Vietnam y disposent d'aéroports accueillant des appareils de transport pour le ravitaillement ; et les Philippines ont décidé en 2014 d'y réhabiliter une ancienne piste.


Potentiel pétrolier

La principale motivation de ces revendications concurrentes est constituée les ressources en hydrocarbures de la Mer de Chine méridionale. Paradoxalement, leur mesure est sujette à une énorme incertitude. Les estimations américaines évoquent ainsi quelque 1,5 milliard de tonnes de pétrole sous la Mer de Chine du Sud - une quantité non négligeable, mais qui ne correspond guère qu'à trois années de consommation pétrolière chinoise au rythme actuel.
Mais les estimations chinoises sont radicalement différentes : diverses sources (compagnies pétrolières et ministères) avancent des chiffres de dix à trente fois plus élevés, puisqu'ils vont de 17 à 50 milliards de tonnes de pétrole récupérables.

Investissement chinois

La Chine accorde en tout cas suffisamment d'importance au potentiel pétrolier de la Mer de Chine du Sud pour avoir investi dans sa première plate-forme de forage en eaux profondes, qui y est déployée depuis 2012.
CNOOC 981, opérée par le groupe pétrolier chinois spécialiste de l'offshore, dispose de capacités de forage, jusqu'à 3.000 mètres de fond, qui la destinent à ces zones contestées de la Mer de Chine du Sud, au-delà des zones relativement proches des côtes nationales auxquelles les précédentes plates-formes chinoises étaient cantonnées.
Après de premiers essais au large de Hongkong, elle avait suscité des incidents sérieux avec le Vietnam en 2014, à l'occasion de son déploiement au sud des Paracel (Xisha en chinois) - l'autre archipel disputé de la région, situé plus au nord (et 300 kilomètres au sud des côtes chinoises).


Route stratégique

Quelles que soient les ressources réelles de la Mer de Chine du Sud, une autre motivation intervient dans la démarche de Beijing.  Cette mer est en effet le point de passage obligé pour ses importations de pétrole en provenance du Moyen-orient et d'Afrique - soit 70% de ses importations pétrolières totales aujourd'hui.
Or la dépendance aux importations pétrolières - qui ont assuré 60% de sa consommation en 2014 — est la principale vulnérabilité stratégique de la Chine. Pour la réduire, le pays a lourdement investi dans des capacités de production étrangères, en Irak notamment. Et il lui est essentiel de sécuriser la route d'approvisionnement correspondante.


Pax Sinica contre Pax Americana

Or, à la différence des Etats-Unis, qui disposent d'une flotte de dix porte-avions, la Chine, dont la première unité est entrée en service en 2012, ne dispose pas des moyens de contrôler cette route maritime vitale pour son approvisionnement pétrolier.
Les « porte-avions fixes » auxquels ont été comparées les infrastructures construites dans les Spratley, constituent un palliatif. Ce sont les derniers éléments du « collier de perles », un dispositif (ainsi nommé en 2005 par le département d'Etat américain) visant à assurer à la Chine des points d'appui aérien et naval sur la route qui court du Golfe persique aux côtes chinoises.
L'objectif de la Chine consiste notamment à échapper à la dépendance d'une Pax Americana seule garante de la liberté de circulation maritime dans le monde. Mais la Pax Sinica qu'elle y substituerait inquiète grandement ses voisins méridionaux, qui se tournent vers Washington.


Jean-François Dufour, Directeur, DCA Chine-Analyse

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Commentaires 2
à écrit le 23/05/2015 à 14:08
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La Chine doit intégrer dans son intime conviction que malgré son extrême habileté à rassurer en partageant les fruits de son formidable décollage économique avec les occidentaux, sa montée en puissance sur le marché mondial des biens,des services et ...

le 14/06/2015 à 21:16
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Excellent texte. Autorisez-vous sa reproduction?

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