Chacun a son propre regard

Certains signaux faibles racontent une société, qu'elle soit allemande ou américaine ou française.Il y a quelques jours, j'étais à Berlin.

En sortant du métro sur un terre-plein central de la Französische Strasse, je dois traverser la rue : pas de passage protégé. Et pourtant, je dois traverser. Aucun passage pour tout le carrefour. Le trottoir n'est pas abaissé, pas de bande rugueuse blanche, pas de poteaux verticaux. Une impression de vide total. Sidéral. Courageusement, après avoir regardé s'il n'y a pas de voiture trop proche, je me lance et franchis la chaussée avec succès. Et ainsi de suite pour plusieurs carrefours, sauf les très importants, munis de passages strictement respectés. Je raconte l'anecdote à plusieurs avocats francophones avec lesquels je suis en congrès. Tous les Français ont vécu la même sensation. La responsabilité est partagée entre celui qui utilise la chaussée et celui qui utilise des trottoirs.

Loin du « Château » de la Rue St Honoré

Ce congrès a organisé la visite du Bundestag. Cette visite témoigne d'un autre signal faible. D'abord, les députés sont visibles en séance de l'extérieur du bâtiment, du haut des marches d'accès. Ils sont aussi visibles depuis la coupole visitée par de très nombreuses personnes. En France, la chambre des députés est un blockhaus inapprochable, sauf à de rares exceptions. C'est bien une transparence, peut-être symbolique, qui nous frappe. D'ailleurs l'esplanade devant le Bundestag est bordée sur sa droite en sortant de différents bâtiments du gouvernement (Band des Bund) dont la Bundesskanzleramt, la Chancellerie fédérale, surnommée « Elefantklo », les toilettes pour éléphants... On est loin du « Château » du président français.

Ces deux signaux racontent la confiance et la transparence. Ils sont cohérents. On retrouve là le dialogue social allemand des entreprises, ainsi que le dialogue politique. En France, il y a quelques jours, la SNCF a été condamnée pour la mort d'une personne à un passage à niveau. Pourtant, le signal d'alerte sonore, visuel, physique, avait fonctionné. Aux États-Unis, toute personne qui franchit une ligne de chemin de fer doit s'arrêter avant de traverser.

Même dans un désert. La responsabilité est portée sur celui qui traverse.

Ces signaux faibles peuvent paraître anecdotiques. Il n'en est rien. Ils sont fondamentaux de tout regard que l'on porte sur un marché, une entreprise, un pays. D'ailleurs, les élections américaines que nous vivons sont un excellent exercice. Changeons de regard, et portons le regard d'un Américain sur la démocratie des États-Unis. Rien de plus difficile.

Je repars en plongée.

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L'ouvrage le plus récent de Philippe Cahen :
Les Secrets de la prospective par les signaux faibles, Éditions Kawa, 2013

À découvrir aussi sa contribution à l'ouvrage collectif Rupture, vous avez dit disrupture ? Le futur est déjà derrière nous, Éditions Kawa, 2015 ; et le nouvel ouvrage, Notre futur anticipé pas les signaux faibles, Éditions Kawa, 2016.

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