Migrant : verre à moitié vide et à moitié plein

Bien sûr, on peut voir le verre à moitié vide. Vingt-huit ministres de l'Intérieur qui s'écharpent pendant des heures pour n'avoir finalement à offrir en pâture aux opinions inquiètes que le chiffre de « 40.000 ».

40.000 réfugiés qu'ils se disent prêts à se partager. C'est peu comparé aux 4 millions de Syriens qui désespèrent, sur la rive sud et est de la Méditerranée, de jamais retourner chez eux et attendent de trouver un endroit où vivre plutôt que survivre, envoyer leurs enfants à l'école, travailler, oublier l'épreuve de l'exil. Et même si l'on y ajoutait les 120.000 supplémentaires proposés par la Commission européenne, cela semblerait encore dérisoire par rapport aux 800.000 attendus en Allemagne cette année. Mais on peut aussi le voir à moitié plein.

Face à la crispation des pays d'Europe centrale, à l'indigence des autorités grecques débordées, aux ambiguïtés des Italiens, les ministres allemand et français ont ramené un peu de réalité dans un débat européen qui surfe dangereusement sur la vague de l'émotion. Bernard Cazeneuve a prononcé les mots « enregistrement » et « rétention ». Son homologue allemand, Thomas de Maizière, témoignage vivant de la vague d'immigration huguenotte qui a transformé la sociologie de Berlin au xviiie siècle, a eu celui d'« ordentlich » pour demander une gestion ordonnée du flux de migrants. De concert, ils ont rappelé cette évidence : avant de se mettre d'accord sur un système pérenne de répartition des migrants, l'urgence est d'avoir un contrôle aux frontières « efficace et puissant », a dit Bernard Cazeneuve. Et un mot nouveau a fait son apparition dans la novlangue européenne : hotspot. En clair, des centres de tri des migrants, où l'on peut distinguer entre ceux qui pourront entrer et les autres.

Trier des hommes, des femmes, des enfants, qui subissent déjà l'épreuve de l'exil, bien sûr, c'est déplaisant. Mais c'est aussi ce qu'ont fait les États-Unis, ce grand pays d'immigration. À Ellis Island, lieu mythique de l'exil s'il en est, entre 1892 et 1954, sur 12 millions d'immigrés, essentiellement Européens, qui se sont présentés, huit ont finalement débarqué à Battery Park, à la pointe sud de Manhattan, avec des papiers en règle. L'alternative à cette politique n'est-elle pas pire encore ?

Actuellement, le flot de migrants qui a finalement poussé l'Allemagne à rétablir les contrôles à sa frontière sud est justement le fruit de l'incapacité à assurer une gestion ordonnée de l'immigration.

Les Syriens fuient leur patrie à cause de Daech. Arrivés au Liban, en Jordanie, en Égypte, en Turquie, ils fuient à nouveau des camps de réfugiés surpeuplés où les rations alimentaires et les programmes scolaires ont été coupés faute de moyens. Les camps du HCR dans les pays frontaliers de la Syrie étaient financés seulement à 42 % de leurs besoins fin 2014, en Turquie à seulement 21% selon son représentant à Bruxelles, Vincent Cochetel. Quand ils arrivent en Grèce, ils n'ont souvent d'autre choix que de dormir dans des parcs, sur les plages. Cette catastrophe humanitaire qui dure depuis des années n'est-elle pas plus grave encore que les déclarations à l'emporte-pièce de Viktor Orban ? En 2013, la Cour de Luxembourg a donné raison à un demandeur d'asile que l'Allemagne voulait renvoyer en Grèce contre son gré (mais en accord avec le droit européen), parce qu'il risquait d'y connaître un « traitement inhumain ». En d'autres termes, dans la situation actuelle, ni la libre circulation, ni les droits de base des réfugiés ne sont garantis. Face à la crise des migrants, la Commission européenne a axé sa communication sur les « quotas » pour signifier qu'elle entendait faire prévaloir ces principes dans tous les pays de l'Union. Elle a voulu faire ce pour quoi elle considère qu'elle est là : imposer l'application du devoir d'accueil des demandeurs d'asile dans tous les pays européens et inventer une règle de répartition des migrants, un peu comme elle en a créé une pour les quotas d'émission de CO2. Elle s'est heurtée à un mur, car elle a réveillé des identités nationales à fleur de peau. Paris et Berlin ont raison de faire de la politique de contrôle aux frontières une priorité.

L'étape suivante devrait être de définir une politique d'immigration commune sur des critères économiques. Si les Européens arrivaient à faire cela, la question des quotas ne se poserait plus et les effets sur les susceptibilités nationales, qui nourrissent les populistes partout en Europe et menacent la libre circulation, seraient neutralisés.

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