Comme un écho lointain de l’antisémitisme hitlérien

OPINION. « Le Hamas ne tue pas des Israéliens. Les Israéliens, il ne les appelle que “juifs” », estime l'historienne Annette Wieviorka.
L'historienne Annette Wieviorka
L'historienne Annette Wieviorka (Crédits : latribune.fr)

Nous avons été frappés de sidération quand la nouvelle nous est parvenue de l'entrée sans difficulté du Hamas sur le territoire israélien et que, heure après heure, nous avons compris l'ampleur du désastre. Puis nous avons été bouleversés et révulsés par la traînée de morts, de violences, d'horreurs indescriptibles que nous peinons à regarder. Bien des commentateurs ont fait appel à l'histoire, celle de la guerre du Kippour il y a cinquante ans, pratiquement jour pour jour. Pourtant, c'est à Marc Bloch que je pense, analysant à chaud dans L'Étrange Défaite l'effondrement au cours des quelques semaines de mai-juin 1940 de la France victorieuse dans la guerre de 14-18, protégée par l'imprenable ligne Maginot. L'histoire, écrit-il, est, « par essence, science du changement ». Et, sinon la surprise et l'impréparation, rien ne ressemble aux journées d'octobre 1973.

Plus tard, il sera loisible d'étudier le contexte de l'agression perpétrée par le Hamas, d'analyser les fautes d'un gouvernement qui a montré son incurie. D'analyser aussi ce qui, après les accords d'Oslo, a rendu impossible la création de deux États, israélien et palestinien, ce qui a conduit à faire de Gaza une prison à ciel ouvert, et comment les Israéliens hostiles à l'établissement de colonies en Cisjordanie ont été impuissants à l'empêcher.

La cruauté dont font preuve ses combattants nous sidère

Le monde et Israël ont beaucoup changé depuis le demi-siècle qui nous sépare de la guerre du Kippour. Marc Bloch m'a appris à me méfier de la mémoire : « Peut-être serait-ce un bienfait pour un vieux peuple de savoir plus facilement oublier : car le souvenir brouille parfois l'image du présent et l'homme a avant tout besoin de s'adapter au neuf. » Oui, il faudrait oublier pour avoir la capacité de voir ce que la situation d'aujourd'hui a d'inédit. Et pourtant, quand on tue ainsi des Juifs, on ne peut s'empêcher de penser aux pogroms de l'époque tsariste et aux Einsatzgruppen, les groupes mobiles de tuerie opérant en 1941 lors de l'invasion de l'Union soviétique, sur les arrières de l'armée allemande et tuant tous les Juifs, hommes, vieillards, femmes, enfants. Surtout, j'entrevois dans l'idéologie du Hamas comme un écho lointain de l'antisémitisme hitlérien. Le grand historien Saul Friedländer définissait l'antisémitisme nazi comme un antisémitisme rédempteur. Il fallait éradiquer les Juifs d'Europe pour pouvoir installer le Reich de mille ans. L'objectif du Hamas est d'installer un État islamiste qui remplacerait l'État d'Israël et qui opprimerait les Palestiniens, un grand pas vers l'islamisation de cette région du monde. La cruauté dont font preuve ses combattants nous sidère. Pourtant, elle ne nous est pas étrangère. C'est la même que celle qui a tué Mahsa Amini en Iran parce que son voile était mal ajusté, qui persécute les femmes en Afghanistan et ailleurs, torture, coupe les mains, lapide, tue, condamne à mort les homosexuels.

Le Hamas ne tue pas des Israéliens. Les Israéliens, il ne les appelle que « juifs ». Or la répartition des Juifs dans le monde s'est profondément modifiée. Les coupes opérées par la Shoah ont été incomblables. La population juive dans le monde atteint péniblement celle de 1939 : moins des 18 millions qu'ils étaient alors. Il n'y a pratiquement plus de Juifs en Europe depuis la grande migration de quelque 1 million de Juifs de l'Union soviétique après son effondrement. Près de la moitié des Juifs dans le monde (environ 7 millions) vivent en Israël. Plus de 6 millions vivent aux États-Unis, et moins d'un demi-million en France, qui compte désormais la communauté la plus nombreuse d'Europe. Surtout, chaque Juif en France a un enfant, une mère, un cousin, un ami en Israël. Le désespoir, le chagrin, le deuil ne sont donc plus seulement ceux que, comme tous les Juifs en France, Raymond Aron éprouvait lors de la guerre des Six-Jours, quand on craignait la disparition d'Israël, un second Auschwitz dans la même génération. « Si les grandes puissances [...] laissaient détruire le petit État d'Israël qui n'est pas le mien, ce crime modeste à l'échelle du monde m'enlèverait la force de vivre », écrivait le philosophe. Aujourd'hui, pour bien des Juifs de France, ce sont les leurs qui sont massacrés ou menacés.

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Commentaire 1
à écrit le 15/10/2023 à 9:56
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La victimisation permanente fait taire les plus audacieux ! ;-)

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