
Cet édito est la version Web de la newsletter « Votre Tribune de la semaine », à recevoir chaque samedi dans votre boîte e-mail, à 8 heures.
____
Cette semaine a été un peu particulière. Poutine nous a fait un chantage à la bombe sale, préparant l'opinion, la sienne ou la nôtre, ou les deux, à des actions encore plus terribles contre l'Ukraine, tout en durcissant encore son discours anti-occidental. La guerre s'installe dans les esprits, on ne parle plus désormais d'opération spéciale. C'est une mauvaise nouvelle car on ne voit pas bien sur quels termes pourrait se nouer une négociation de paix. A moins que Poutine ne disparaisse ?
A une semaine des midterms, de l'autre côté de l'Atlantique, Donald Trump s'est réjoui ce vendredi que Twitter soit « désormais entre de bonnes mains ». Le réseau social, racheté par son ami Elon Musk, « ne sera plus dirigé par les fous de la gauche radicale qui détestent véritablement notre pays », a-t-il déclaré sur son nouveau réseau, Truth Social. Twitter ne sera plus coté en Bourse et on ne se demande plus si mais quand l'ancien président américain reviendra gazouiller avec son compte @realDonaldTrump et ses 88 millions d'abonnés.
Est-ce une bonne nouvelle ? Pour tous ceux qui se plaignent de l'ultra-domination des Gafam, oui, le krach de Meta, ex-Facebook, qui a perdu les deux tiers de sa valeur boursière, vient rappeler que même les géants de la tech américaine ne sont pas immortels. Les mésaventures de Facebook montrent aussi que le pivotement vers le metavers, qui a trompé nombre d'investisseurs, est un flop monumental en tout cas à date, malgré des milliards d'investissements. De façon générale, c'est tout le secteur de la tech qui traverse un trou d'air, après, il est vrai, avoir gonflé telle une bulle pendant la crise sanitaire qui a largement favorisé le numérique. Après le flux, le reflux, raconte Guillaume Renouard. Seul Microsoft s'en tire mieux que les autres.
Cherchons encore une bonne nouvelle avec Bruno Le Maire. Le ministre de l'Economie, des finances et de la souveraineté aurait, dit-on, la tentation de Washington : il se verrait bien à la tête du FMI et agit en ce sens : dans The Economist, il signe un article pour expliquer à ses pairs grands argentiers comment la France a fait mieux que les autres pays en matière d'inflation.
Les chiffres provisoires de hausse des prix en octobre sont tombés vendredi. Et ils ne sont en fait pas si bons. Après trois mois de ralentissement, l'inflation repart à la hausse, à 6,2%, et elle commence à s'auto-entretenir, en raison de l'énergie et surtout de l'alimentation. Comme l'a dit Emmanuel Macron dans sa longue intervention sur France 2, avec force graphiques, l'inflation, c'est un impôt importé. Et vu déjà le niveau record de nos impôts, au plus haut historique, ce n'est vraiment pas une bonne nouvelle, d'autant que les mesures budgétaires destinées à amortir le choc, pour les ménages comme pour les entreprises ou collectivités, n'auront qu'un temps, et alourdiront les charges de notre dette, elle aussi record. Pas sûr que Bruno Le Maire ait envie de rester assez longtemps encore à Bercy pour passer du ministre des bonnes nouvelles et du quoi qu'il en coûte permanent à celui des mauvaises nouvelles budgétaires voire de la récession.
Car comment se débarrasser vraiment de l'inflation ? Certains en viennent à rappeler l'expérience Volker, du nom de l'ex-président de la Fed qui avait porté les taux américains à 20% après le second choc pétrolier. On en est encore très loin : en Europe, la BCE vient de relever à nouveau les siens de 0,75 point, mais ses taux restent encore 10 fois moindre que ceux connus sous Volker, et 5 fois inférieurs à l'inflation moyenne de la zone euro qui flirte avec les 10 %. Autant dire, Christine Lagarde en a bien prévenu, que ce n'est que le début, la BCE va devoir continuer le combat. Pour tout comprendre de la politique monétaire européenne, Robert Jules et Eric Benhamou font le point.
Curieusement, ce contexte a priori morose n'a aucun effet sur les Bourses, certes nerveuses et volatiles, mais encore très bien soutenues par les bons résultats des grandes entreprises, en France comme dans le monde. Et l'immobilier, qui commence à ralentir sous l'effet de la normalisation des taux, ne connaît pas le krach annoncé. « Je ne crois pas à une bulle immobilière », nous déclare la nouvelle présidente des notaires. De fait, si on continue de construire aussi peu, ce n'est pas demain que l'offre de logement dépassera la demande.
Cherchons encore d'autres bonnes nouvelles avec Bruno Le Maire. Les résultats mirifiques de TotalEnergies qui, sur les trois premiers trimestres de 2022, a fait autant de profits que sur tout 2021 ont réjoui le ministre. « Tant mieux », a-t-il lancé, cela permet de financer une ristourne sur les prix à la pompe -hélas c'est bientôt terminé- et d'augmenter les salaires. TotalEnergies peut se le permettre, même si cela s'est fait en « emmerdant » les Français avec une pénurie de carburants, mais les autres entreprises suivront-elles cette voie ? Les grandes entreprises qui peuvent partager la valeur avec leurs salariés, sans doute. Le Medef a ainsi célébré mardi les 50 ans du célèbre discours de Marseille d'Antoine Riboud, patron de BSN (devenu Danone), sur l'entreprise socialement responsable. Version Macron, cela donne l'appel au versement d'un « dividende salarié ». L'idée est bonne, encore faut-il avoir du dividende à distribuer. Or, pour nombre de PME, 2023 ne sera pas, il faut le craindre, l'année de la RSE, mais plutôt celle des PSE, l'année des plans sociaux. On le voit venir dans les banques où l'on s'inquiète du risque de non-remboursement de nombre de PGE (prêts garantis par l'Etat) contractés pendant les confinements.
Malgré cela, on n'en a pas fini avec la question de l'indexation des salaires. La Belgique le fait, et la France devra s'y mettre bon gré mal gré, sans doute avec retard pour tenter de limiter l'effet spirale prix-salaires. La technique est connue : n'augmenter les salaires que sur les anticipations d'inflation et pas sur l'inflation constatée, en espérant que l'inflation régresse avec le temps. L'économie française, désindexée depuis le tournant de la rigueur décidée sous Pierre Mauroy en 1982-83, conserve quelques mécanismes de rattrapage, via le Smic et le taux du Livret A dont curieusement personne ne parle alors qu'à 2%, on peut parler d'euthanasie du petit rentier. La prochaine hausse du taux du Livret A, le 1er février, donne déjà des sueurs froides aux banquiers.
Avec les 630 millions d'euros bruts sur trois ans qu'il a obtenus, le joueur de foot Kylian Mbappé pourra s'ouvrir en théorie près de 28.000 livrets d'épargne au plafond actuel de 22.950 euros. D'accord, c'est un peu virtuel, tout comme sont hors-sol ses revenus. Mais reconnaissons, toujours avec Bruno le Maire, que c'est « une bonne chose » car le joueur vedette du PSG, et son actionnaire qatari, va faire rentrer beaucoup d'impôts et de charges, et autant qu'il les paie en France plutôt qu'en Espagne.
Finalement, l'inflation, ce n'est peut-être pas une si mauvaise nouvelle pour les finances publiques. A Bercy, on s'attend à percevoir une « cagnotte » fiscale supplémentaire qui pourrait dépasser des 60 milliards d'euros les prévisions initiales : taxes sur les carburants, TVA, dont les recettes vont dépasser les 200 milliards d'euros cette année, et même impôt sur le revenu, la revalorisation du barème 2022 étant 4 fois inférieure à l'inflation réelle : résultat, par le jeu de la retenue à la source, l'Etat encaisse une partie des hausses de salaires accordées dès cette année. Alors qu'avant, il devait attendre l'année suivante. On n'arrête pas le progrès...
Sujets les + commentés