Pourquoi les Gafam traversent une crise inédite

Les résultats trimestriels des géants de la tech américains viennent de tomber, et ils sont pour la plupart décevants. Si elles avaient largement profité de la pandémie, ces entreprises sont aujourd'hui rattrapées par le retournement économique conjoncturel qui, lui, n’épargne personne. Certaines s’en tirent toutefois mieux que d’autres : Microsoft profite de la dépendance des entreprises à sa suite logiciel, tandis que Meta paie ses investissements faramineux dans le métavers.
Si la crise économique devait se poursuivre, nous pourrions alors assister à un découplage du marché de la tech.
Si la crise économique devait se poursuivre, nous pourrions alors assister à un découplage du marché de la tech. (Crédits : Carlo Allegri)

Rien ne va plus dans le monde des Gafam. Amazon a à son tour affiché des résultats en berne après la clôture de la bourse de New York ce jeudi. L'entreprise a ainsi annoncé un chiffre d'affaires situé entre 140 et 148 milliards de dollars, bien en-dessous des 155 milliards attendus par les analystes.

Bien que le groupe e-commerce affiche un profit trimestriel pour la première fois de l'année, celui-ci est tout de même inférieur de 9% au même trimestre l'an dernier. L'action d'Amazon a chuté de 12% suite à ces annonces, sa valorisation passant pour la première fois sous la barre des 1.000 milliards de dollars depuis 2018.

Lire aussiLe marché sanctionne Amazon après des résultats trimestriels inférieurs aux attentes

La valeur de Meta divisée par trois en un an

La veille, Meta avait déjà affiché un profit trimestriel de 4,4 milliards de dollars, inférieur aux attentes des investisseurs. Le chiffre d'affaires de l'entreprise a décru de 4% d'une année sur l'autre pour atteindre 27,7 milliards de dollars. La maison mère de Facebook a également annoncé qu'elle s'attendait à dégager un chiffre d'affaires situé entre 30 et 32,5 milliards de dollars au dernier trimestre, un chiffre là encore en-dessous de ce que prévoyaient les analystes de Wall Street.

L'action du groupe a logiquement dévissé suite à ces annonces, perdant un cinquième de sa valeur. Depuis septembre 2021, la valorisation de Meta, qui s'élevait alors à plus de 1.000 milliards de dollars, a désormais été divisée par trois et pourrait encore se réduire si les mauvais résultats continuent de s'accumuler.

Du côté d'Alphabet, la maison mère de Google, le bilan n'est guère plus brillant. Le groupe a vu ses profits chuter de 27% par rapport à la même période l'année précédente, tandis que YouTube a affiché une baisse de ses recettes pour la première fois depuis qu'Alphabet a commencé à publier les performances financières de sa filiale en 2019. Son action a dégringolé de 9% suite à ces annonces.

Enfin, même Microsoft, qui constitue l'une des valeurs technologiques les plus sûres, notamment grâce aux confortables et récurrents revenus que l'entreprise tire de sa licence Windows, qui équipe la grande majorité des ordinateurs vendus dans le monde, a connu des déboires à Wall Street. Car si le chiffre d'affaires du géant technologique s'est tout de même accru de 11% au troisième trimestre, c'est le taux de croissance le plus faible qu'il ait connu depuis le premier trimestre 2017, et ses profits ont chuté de 14% d'une année sur l'autre.

Seul Apple continue d'afficher des ventes et des profits records.

Un simple retour à la normale ?

Contrairement à d'autres secteurs de l'économie, qui connaissent des heures difficiles depuis début 2020, les géants technologiques américains ont vécu des heures prospères durant la pandémie, grâce aux confinements, à la généralisation du télétravail et de l'école à distance. Employés et étudiants se sont rués sur de nouveaux smartphones et ordinateurs, tandis que les entreprises effectuaient un virage éclair vers le cloud et la visioconférence.

Coincés chez eux, les consommateurs se sont rabattus sur les achats en ligne, conduisant les entreprises à doper leur budget consacré à la publicité sur l'internet pour ne pas rater cette opportunité.

Désormais, le public est largement équipé en appareils neufs, nombre d'entreprises sont déjà passées au cloud et rationalisent leurs dépenses, à la fois en appareils, logiciel et marketing, pour faire face au retournement conjoncturel entraîné par la guerre en Ukraine, tandis que le public profite de la fin des restrictions pour sortir et délaisse quelque peu le monde virtuel. Pour les géants de la tech, une partie de ces résultats décevants est donc surtout due à un retour à la normale.

La rançon du succès

Pour Richard Holway, président et cofondateur de TechMarketView, un cabinet d'analyses de marché, les difficultés que connaissent les Gafam sont également un signe de la manière dont la tech est aujourd'hui étroitement intégrée à l'économie réelle.

« Depuis une vingtaine d'années, le secteur des nouvelles technologies est passé du statut de marché de niche à celui de composante majeure de l'économie. Pour cette raison, la tech ne peut plus échapper aux tendances qui affectent l'économie mondiale. »

Des tendances qui, de la politique zéro Covid chinoise à la crise énergétique entraînée par les sanctions prises contre la Russie suite à l'invasion de l'Ukraine, ne favorisent guère le marché de la publicité en ligne, dont des entreprises comme Meta et Alphabet sont fortement dépendantes : Meta tire environ 95% de ses revenus de la publicité, contre 80% pour Alphabet.

« Auparavant, la publicité en ligne représentait une petite portion du marché de la publicité. Désormais, elle en constitue la majorité. Or, une crise économique frappe toujours sévèrement celui-ci. C'est pourquoi, comme nous l'avons vu à travers les résultats de Google, Facebook, Snap ou encore Pinterest, les publicitaires digitaux pâtissent eux aussi », analyse Richard Holway.

Apple et la privacy

À cela viennent s'ajouter les récentes décisions d'Apple, qui en début d'année a introduit de nouvelles fonctionnalités visant à défendre la vie privée des utilisateurs. Celles-ci handicapent le ciblage publicitaire sur lequel s'appuie une entreprise comme Meta, grignotant ses revenus. En mai, David Wehner, en charge des finances du groupe Meta, avait ainsi blâmé Apple pour les déboires financiers de son entreprise dans un mémo interne.

Lire aussiApple : après avoir brillamment fait le "Jobs", Tim Cook face à une décennie périlleuse

En retour, les performances boursières de ces sociétés sont d'autant plus mauvaises qu'elles étaient surévaluées, selon Richard Holway. « La valorisation de ces entreprises avait perdu le contact avec la réalité. Si vous êtes une composante majeure de l'économie, pourquoi seriez-vous valorisé beaucoup plus que le marché global ? »

La faute au dollar fort

Enfin, les géants du net américains ne sont pas non plus aidés par l'appréciation du dollar face aux autres monnaies. Celle-ci renchérit les prix des biens et services offerts par ces entreprises et implique que leurs profits réalisés à l'étranger leur rapportent moins de dollars.

Amy Hood, à la tête des finances de Microsoft, qui réalise la moitié de ses ventes à l'étranger, a ainsi affirmé que la hausse du dollar posait des difficultés à son entreprise. Meta s'est également plaint de l'insolente bonne santé du billet vert et a affirmé qu'à taux de change constant, son chiffre d'affaires aurait légèrement augmenté.

La situation des Gafam reste enviable à maints égards

À noter que, malgré le ralentissement auquel elles doivent faire face, ces sociétés continuent majoritairement de bien se porter : Alphabet et Microsoft ont à eux deux réalisé plus de  31 milliards de profits au troisième trimestre, et Apple affiche pour sa part un profit record de 20,7 milliards de dollars. Meta continue de son côté de gagner des utilisateurs, les plateformes Facebook, Instagram et Meta en comptant chacune autour de deux milliards, chiffres qui continuent de s'accroître.

La situation est plus difficile pour les sociétés technologiques opérant sur de jeunes marchés, comme celui des cryptomonnaies, où nombre de jeunes pousses ont été balayées ces derniers mois, ou encore celui de la gig economy, où même un géant comme Uber est contraint de tailler dans ses dépenses face à l'impatience des investisseurs pour qui les profits tardent à se manifester.

L'industrie américaine des semiconducteurs connaît également des difficultés, à l'heure où le déséquilibre entre offre et demande se résorbe et que les sanctions adoptées par l'administration Biden contre la Chine privent les géants américains comme Nvidia, Qualcomm et Intel d'un marché porteur. Afin d'empêcher l'Empire du Milieu de siphonner le savoir-faire américain sur les microprocesseurs haut de gamme, le président américain a en effet récemment annoncé une nouvelle volée de sanctions  pour limiter l'exportation de puces haut de gamme vers la Chine et entraver la capacité de celle-ci à en fabriquer sur son propre sol.

Course à la diversification

Les géants américains ne sont pas non plus tous dans la même situation. Les difficultés de Meta proviennent par exemple de sa tentative de réinventer son modèle d'affaires pour être moins dépendant de la publicité, qui lui rapporte de moins en moins de recettes. Pour cela, l'entreprise a misé sur le métavers, dans lequel elle engloutit des sommes faramineuses (pas moins de 21 milliards de dollars en deux ans), suscitant la méfiance des investisseurs qui doutent quant aux capacités d'un tel investissement à générer de l'argent à court terme.

« Je sais que de nombreuses personnes désapprouvent cet investissement », a concédé Mark Zuckerberg lors d'un échange avec des analystes financiers mercredi. « Cependant, je pense que ce serait une erreur pour nous de ne pas nous focaliser sur ce domaine, qui sera à mon avis d'une importance fondamentale dans l'avenir. » Le patron de Facebook pourrait également rappeler que son réseau social a également mis du temps à être rentable, ne dégageant une trésorerie positive qu'en 2009, suite au virage publicitaire décidé par Sheryl Sandberg. Il n'empêche, tant que la conjoncture économique continuera de se dégrader, il est peu probable que Meta retrouve la confiance des marchés.

Malgré ses bons résultats, Apple s'efforce aussi de diversifier son modèle économique pour réduire sa dépendance aux ventes de matériel informatique, et en particulier de l'iPhone, dont elle tire la moitié de ses revenus. Or, les ventes de l'iPhone 14 ainsi que de l'iPhone 14 Plus, lancés en septembre, sont décevantes. Le medium d'investigation The Information, basé dans la Silicon Valley, affirme ainsi qu'Apple a demandé à deux fournisseurs de l'iPhone 14 Plus de réduire leur production de 70% et 90% respectivement. Pour cette raison, Apple se lance dans les services bancaires, avec par exemple une offre de compte épargne lancée très récemment aux États-Unis en partenariat avec Goldman Sachs. La marque à la pomme mise également sur ses services de streaming, Apple Music et Apple TV+, dont elle vient d'augmenter les prix.

Vers un découplage de la tech ?

Selon Richard Holway, Microsoft, malgré ses récents déboires, demeure dans une position solide grâce au rôle essentiel que l'entreprise joue auprès des acteurs économiques. D'autres ne peuvent pas en dire autant. « Microsoft est présent au cœur même des entreprises. Je peux réduire mon budget publicitaire, mais pas mon abonnement à Microsoft Exchange. Toutes les entreprises (tech ou autres) qui s'appuient sur des dépenses non nécessaires doivent s'attendre à des temps difficiles. »

Si la crise économique devait se poursuivre, nous pourrions alors assister à un découplage du marché de la tech, avec des sociétés proposant des services essentiels aux entreprises (cloud, SaaS, matériel informatique...) qui continueront de se porter relativement bien, contrairement à celles basées sur les loisirs (services de streaming type Netflix, jeux vidéo), les marchés les moins matures (cryptomonnaies, gig economy) et les services aux entreprises non nécessaires (type publicité en ligne).

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 29/10/2022 à 10:09
Signaler
Les arbres ne montent pas au ciel tout simplement ! Des croissances de 20 à 30% ne sont pas tenable sur du long terme, le consommateur n'est millionnaire.

le 30/10/2022 à 9:00
Signaler
Pas millionnaire

à écrit le 28/10/2022 à 20:23
Signaler
fichtre, la realite de la fin de l'argent gratuit et des cycles..........j'aime ces entreprises clairvoyantes dirigees par des ingenieurs et consors............et sinon, j'ai donne des cours en fac ou on apprend la base, le reste je faismoi meme, le ...

à écrit le 28/10/2022 à 17:22
Signaler
Get Woke, go Broke. C'est le même dégonflement de la bulle techno que dans les années 2000

à écrit le 28/10/2022 à 17:21
Signaler
C'est peut être que les gens en ont assez de tout cet environnement factice qui s'autolimente mais au final ne produit rien de vraiment essentiel.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.