Facilité européenne de paix : « Prends l'oseille et dis adieu à la souveraineté de la défense européenne » (1/2)

Chronique de la guerre économique en Europe de Nicolas Ravailhe, Institut francophone de stratégies européennes et enseignant École de guerre économique. Il a dans son viseur la Facilité européenne pour la paix (FEP) et notamment la stratégie de la France, qui va devoir débourser au moins deux milliards en deux ans.
« Par un étrange hasard, plus personne ne s'inquiète des critères de Maastricht et des déficits publics des États. La Facilité européenne de paix pour les montants destinés à l'Ukraine neutralise les ratios européens de dépenses publiques ». (Nicolas Ravailhe, Institut francophone de stratégies européennes et enseignant École de guerre économique)
« Par un étrange hasard, plus personne ne s'inquiète des critères de Maastricht et des déficits publics des États. La Facilité européenne de paix pour les montants destinés à l'Ukraine neutralise les ratios européens de dépenses publiques ». (Nicolas Ravailhe, Institut francophone de stratégies européennes et enseignant École de guerre économique) (Crédits : DR)

La Suède préside le Conseil de l'Union européenne en ce premier semestre 2023. C'est donc à Stockholm que s'est tenue ce 8 mars une réunion informelle des ministres de la défense de l'UE, afin de préparer la réunion décisionnaire du 20 mars des ministres des Affaires étrangères et de la défense en format « jumbo ». C'est à cette réunion « informelle » - sans prise de décision ayant des conséquences juridiques - qu'a émergé l'idée de consacrer deux milliards d'euros à l'achat d'obus d'artillerie pour l'Ukraine.

Comme toujours en Europe, la première question est qui va payer ?

En entendant cette annonce, l'opinion publique pourrait croire que c'est « Bruxelles » qui va payer, pour utiliser un terme abusif qui signifie l'Union européenne payera (UE). Comment trouver une telle somme dans le budget annuel de l'UE, 170 milliards d'euros, soit 1,17% ? C'est mission impossible sauf à modifier le droit européen, à anéantir les autres politiques européennes et à renoncer, par exemple, aux aides européennes déjà jugées trop faibles pour la compétitivité des industries civiles.

Ambiance... en pleine période d'aides massives outre-atlantique avec « l'Inflation Reduction Act ». Chaque État membre de l'UE devra donc « mettre au pot » en fonction de critères finement analysés. De toute façon, au fond cela ne change pas grand-chose tant l'argent de Union européenne est celui de ses citoyens contributeurs. Lesquels sont inégalement gagnants à en juger par les chutes de PIB par habitant des pays latins.

C'est donc ainsi que fonctionne la désormais célèbre et très « Orwellienne » Facilité européenne pour la paix (FEP) : comme la caisse d'une association financée par les cotisations volontaires de ses membres. Les traités européens interdisent en effet l'utilisation du budget communautaire pour financer des activités militaires mais les États membres peuvent s'accorder pour le faire. L'Allemagne finance donc 25% des dépenses de la FEP, la France 18%, l'Italie 13%, l'Espagne 9%, les Pays-Bas 7,5%, la Belgique 4,5%, la Suède 4%, la Pologne 3,7%, le Danemark (nouveau venu dans la PSDC) 2,5%. Tous les autres sont en-dessous de 2%. Cela signifie que les 4 principaux contributeurs (le « P4 » dans le jargon) financent les deux tiers de la FEP.

C'est pourquoi, quand l'Estonie (antépénultième contributeur avec 0,2%, avant Chypre et Malte) propose généreusement d'acheter un million d'obus pour quatre milliards d'euros, elle sait que cela lui coûterait moins de 80 millions d'euros, quand l'Allemagne devrait débourser un milliard, et la France 720 millions. On comprend bien qu'elle aurait tort de se priver de profiter l'argent des autres... il est plus surprenant que l'Allemagne et la France aient accepté un tel mécanisme. Faut-il s'étonner dans ces circonstances que le contribuable français comme l'allemand s'interroge de plus en plus ?

Mutiler les intérêts des pays contributeurs n'est pas sans risque à commencer pour l'Ukraine.

ooo

En effet, cela se traduit dans le soutien de l'opinion publique à la candidature de l'Ukraine à l'UE.

Comme le rappelle Jérôme Fourquet (Regards européens sur la guerre en Ukraine: un an après. Principaux enseignements, Fondation Jean Jaurès, février 2023), « l'adhésion à la candidature de l'Ukraine est majoritaire en Espagne (79%) et aux Pays-Bas (64%), mais aussi en Italie (63%), alors qu'elle est beaucoup plus mesurée de part et d'autre du Rhin : 55% en France et seulement 52% en Allemagne. Dans ce dernier pays, le recul du soutien à une candidature de l'Ukraine est assez marqué, puisqu'il est passé de 68% au début du mois de mars 2022 à 52% aujourd'hui. Ailleurs en Europe, le même mouvement s'observe, mais avec une moindre amplitude (entre -5 points et -9 points selon les pays). Si les Ukrainiens veulent intégrer l'Union européenne, leurs efforts diplomatiques devront se concentrer sur le couple franco-allemand, dont les populations apparaissent aujourd'hui les plus réticentes à cette perspective ».

C'est « open bar », fini l'orthodoxie budgétaire européenne !

Le Conseil européen devrait consacrer à l'achat d'obus pour l'Ukraine l'intégralité de l'enveloppe de deux milliards supplémentaires décidée en décembre. Il faudra donc renflouer à nouveau la FEP en vue des dépenses à venir. On parle déjà d'un montant supplémentaire de 3,5 milliards d'euros.

Cette somme, déjà évoquée en décembre, devait être appelée progressivement par tranches de 500 millions. Il se peut dorénavant qu'elle soit décidée en une seule fois. Le « budget » de la FEP aura ainsi été doublé en un an. Une telle fuite en avant budgétaire aurait été inimaginable dans le cadre strictement « orthodoxe » du budget communautaire. Mais la FEP fonctionne comme une caisse de bienfaisance associative : tout est possible tant que l'on trouve des contributeurs volontaires.

C'est ainsi que, avec les 360 millions que vont nous coûter les obus pour l'Ukraine, la France est désormais engagée à hauteur d'un milliard et demi. Et ce n'est pas fini. D'abord, ces chiffres doivent être traduits en euros courants, car ils sont exprimés normalement en euros constants de 2018. Or l'inflation depuis 5 ans n'a pas été neutre : peut-être 20%. Ensuite, il va falloir financer les prochains appels, soit 18% de 3,5 milliards. Au total, la FEP va coûter à la France au moins deux milliards en deux ans.

Par un étrange hasard, plus personne ne s'inquiète des critères de Maastricht et des déficits publics des États. La Facilité européenne de paix pour les montants destinés à l'Ukraine neutralise les ratios européens de dépenses publiques. Pour les soutiens destinés à l'Afrique, non... allez comprendre. Cela n'a pas manqué d'être observé dans une logique « deux poids, deux mesures » que rien ne justifie pour des humanistes attachés à l'action européenne pour la paix dans le monde.

Surtout les conséquences budgétaires ne sont pas les mêmes pour un État très riche avec des excédents commerciaux comme l'Allemagne ou les Pays-Bas versus la France au déficit commercial abyssal, l'une des premières causes de nos finances publiques exsangues.

En réalité, la France paye donc deux fois, avec son budget et avec les bénéfices qu'elle octroie à l'économie de ses voisins. La faute en incombe exclusivement à notre désorganisation dans le marché intérieur et en lien avec les accords conclus par l'UE avec les pays tiers. Dans la plus pure tradition des tribus gauloises, faute d'avoir des excédents commerciaux, nous passons notre temps à nous entretuer sur fond de pénuries sociales pendant que nos partenaires européens se délectent en nous observant avec leurs succès économiques, et avec la FEP, secteur de la défense inclus !

Alors en France, où va-t-on trouver cet argent ?

La logique voudrait qu'une décision hautement politique de cette nature et de cette ampleur bénéficie d'un financement exceptionnel de l'ensemble du budget de l'État. Il n'en sera rien. Le budget des armées pourrait financer 90% de la contribution française à la FEP. Qu'à cela ne tienne : une nouvelle loi de programmation militaire (LPM) est en préparation. Il suffit d'intégrer ces deux milliards dans la programmation. Eh bien non. Il a été décidé que la contribution FEP ne serait pas financée sur les 400 milliards de la LPM. Pourquoi ? Mystère ! Comment ? Nouveau mystère !

Ou plutôt si, tout le monde comprend qu'en réalité chaque annuité du budget des armées serait amputée d'environ 500 millions pour financer la FEP sur la durée de la programmation, tant que la FEP devra être financée. Pourtant on nous explique que nos armées n'ont plus de moyens, que nos soldats sont particulièrement exposés sur les terrains extérieurs faute d'avoir les derniers équipements ... Qui veut pousser nos chefs milliaires à la démission comme déjà observé pour moins que cela ? Nos armées et les citoyens attachés à la défense et la souveraineté de leur pays apprécieront, à moins que les parlementaires n'en décident autrement.

Bien entendu, la France n'est pas obligée de participer à la FEP. Elle peut en sortir, ou négocier des aménagements comme le font les États frugaux d'Europe du nord avec une ristourne sur leur contribution au budget de l'UE, ou encore comme le faisaient les Britanniques dans l'UE avec leurs « Opt Out » ou la négociation d'un « chèque de retour » sur la politique agricole commune.

Malheureusement, le sujet semble tabou en France. Pourtant, en l'espèce, considérant la pratique des autres États en Europe, cela ne devrait pas choquer beaucoup. Bercy pourrait clairement militer en ce sens. Pour une fois, le point de vue des comptables rejoint celui des stratèges. La maîtrise d'un mécanisme qui échappe aujourd'hui à tout contrôle et à toute règle de prudence en matière de fonds publics aurait un effet bénéfique. Et si seulement ces milliards d'euros étaient au profit de notre industrie - comme le permet le droit européen - et de la souveraineté européenne en matière de défense... et bien non, ils vont ancrer notre dépendance pour des décennies !

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 20/03/2023 à 20:52
Signaler
Bonjour, Deja une bonne nouvelles, tous l'argent des européennes sera utilisé par des industriels européennes... Maintenant, ils faut bien comprendre que les aides financières viennent de 3 ou 4 grande nation de notre union.. Certe histoire per...

à écrit le 20/03/2023 à 12:10
Signaler
"Pour les soutiens destinés à l'Afrique, non... allez comprendre." C'est pourtant simple, dans un cas il s'agit de la défense de l'Europe contre un danger immédiat, dans l'autre d'aides qui n'ont jamais apporté de résultat mesurable.

à écrit le 20/03/2023 à 11:58
Signaler
passé sous silence : en Allemagne BASF et WW prennent la tangente ( ce n'est pas fini ) Tesla s'interroge ... en France : emprunts : + 270 milliards ( et avec des taux >BCE qui remontent !..) dette : + 3 000 milliards l'OCDE et le FMI : pour ...

à écrit le 20/03/2023 à 9:15
Signaler
je veux pas etre mechant, mais il y aurait deja bcp d'economies a faire au niveau europeen! argh, le mot a ne pas prononcer!!! une espere de ' e-word' comme diraient les yankees!...... quant a l'adhesion de l'ukraine, les memes qui sont pour seront f...

le 21/03/2023 à 6:56
Signaler
Bonjour Cette article parlent d'achat commun de munition d'artillerie..et non d'adhésion de L'UKRAINE a l'union européenne ... Dans tous les cas l'ons remarque que certain pays riche voir tres belliqueux de notre union sont totalement absents de...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.