Protectionnisme : comme on ne peut pas arrêter l'IRA des USA... autant en profiter ! (2/2)

A défaut d'arrêter le protectionnisme américain, comment les entreprises peuvent-elles en profiter ? « Cela demande de travailler ensemble, secteurs public et privé, avec un État puissant et stratège dans et via l'UE, à laquelle nous avons transféré nos compétences en l'espèce ». Par Nicolas Ravailhe, Institut francophone de stratégies européennes, enseignant École de guerre économique et avocat au barreau de Bruxelles (droit européen).
« L'ajustement annoncé il y a une semaine de plusieurs dispositifs d'aides allouées par l'UE en réponse à l'IRA est donc très stratégique, bien au-delà de la question des montants. Il commande de pratiquer l'intelligence économique par l'innovation, le droit, les financements et la stratégie politique » (Nicolas Ravailhe).
« L'ajustement annoncé il y a une semaine de plusieurs dispositifs d'aides allouées par l'UE en réponse à l'IRA est donc très stratégique, bien au-delà de la question des montants. Il commande de pratiquer l'intelligence économique par l'innovation, le droit, les financements et la stratégie politique » (Nicolas Ravailhe). (Crédits : DR)

Nous allons donc assister à une bataille entre Européens ; Européens et Américains ; Américains entre eux & cie... sur le sol des USA afin de capter l'argent du contribuable américain. Les aides du plan IRA sont conditionnées à une industrialisation sur le sol américain, mais elles ne sont pas limitées à des entreprises à capitaux exclusivement américains. Ce qui serait d'ailleurs bien difficile à définir sauf à être une entreprise publique.

L'IRA ne devrait pas produire de délocalisations massives de l'UE vers les États-Unis. Trop cher et trop compliqué et rappelons que les Américains ne sont pas dans le marché intérieur européen. L'accord de libre-échange n'a pas été conclu avec eux. Certains marchés, comme celui du stockage d'énergie, sont en plus continentaux. Les volumes de production sont si importants que les infrastructures et les conditions de transport transatlantique sont complexes.

La chasse aux subventions est ouverte aux USA

En revanche, il y aura sans doute des « pertes de chance ». Quelques projets prévus en Europe fileront aux États-Unis. Le coût très faible de l'énergie outre-Atlantique, couplé aux aides IRA, constitue la menace principale. La réforme du marché européen de l'énergie actuellement lancée pourrait permettre de s'adapter, surtout en France avec une énergie moins chère qu'ailleurs en Europe. L'Hexagone aurait dû brandir la menace de quitter le marché européen de l'énergie si ses intérêts sont atteints. L'hypothèse inverse a été décidée... allez comprendre !

La chasse aux subventions est donc ouverte aux USA. Il faut en profiter pour aller chercher des relais de croissance et faire grandir nos industries, en particulier pour ceux qui n'étaient pas ou peu présents sur le marché nord-américain. Pour les entreprises déjà implantées, c'est un bon moyen de se développer.

Dans la guerre économique, l'occasion est trop belle pour attaquer ses concurrents, même américains, sur leur sol. Toutefois, avant d'agir, on ne saurait trop conseiller de regarder le documentaire produit par Barak et Michelle Obama « American Factory ».  Un gérant de l'industrie chinoise qui s'implante aux USA et y découvre les réalités locales.

Et la France, dans tout cela ?

Puisque l'on ne peut pas contrer les USA, la France demande donc à l'UE de mettre en place des aides équivalentes à celles des Américains. Mais la proposition française de création d'un grand fonds européen de souveraineté a été rejetée lors du dernier sommet européen. Un rejet quasi unanime des États européens, las de la rengaine de la dette que l'on risque de ne pas rembourser malgré les promesses. Ils savent surtout que la France est exsangue dans ses finances publiques. Et pour cause, ce sont les États de l'Europe du Nord, dis les frugaux et leurs alliés, qui sont majoritaires dans l'UE pour mettre sous pression les États endettés sous peine de sanction en cas de non-respect des règles européennes.

Il y a aussi une guerre économique entre États membres de l'UE. Ces États du nord de l'UE lisent les rapports de la Commission européenne en matière d'aides d'État. Ils savent qu'une France appauvrie a moins les moyens que l'Allemagne et cie d'en pratiquer. Et que de surcroit, notre pays n'est pas stratégique pour les employer. https://www.latribune.fr/opinions/pourquoi-l-allemagne-aide-t-elle-davantage-ses-entreprises-que-la-france-939496.html

Pour les États de l'Europe du Nord, mieux vaut donc privilégier une modification du cadre des aides d'États que d'abonder dans un fonds souverain européen à risque, coûteux pour eux et qui renforcerait la compétitivité de leurs concurrents intra-européens, principalement Français et Italiens. Étrange paradoxe et véritable danger, la France et l'Italie ont un grand besoin d'aider leurs entreprises, mais comme elles le font moins que d'autres États, assouplir la règlementation européenne en la matière pourrait se retourner contre leurs intérêts.

De plus, on ne doit pas oublier qu'une réponse à l'IRA des USA peut avoir des répercussions économiques en Europe également. Les aides européennes ne ciblent pas spécifiquement le marché américain et la bataille du marché intérieur européen est elle aussi à « haute intensité » économique. Cerise sur le gâteau, étant donné l'effondrement économique de la France dans le marché intérieur (-129 milliards d'euros de déficit commercial en 2021), la confiance ne règne pas envers les propositions émises par les dirigeants français.

Pour couronner le tout et éviter aussi un dérapage complet des règles en matière d'aides d'État, une guerre de l'information est lancée - y compris par l'Allemagne - au motif que les grands États seraient davantage bénéficiaires de la règle que les petits. C'est relativement faux. Il faut raisonner en données relatives et non en valeur absolue pour analyser l'intensité des aides par pays. Ainsi, la France se situe dans la moyenne européenne et non en tête, contrairement à... l'Allemagne.

Enfin, les aides d'État en Europe ne sont pas limitées aux entreprises européennes ou nationales. Elles sont ouvertes à tout investisseur dans les États membres comme outil d'attractivité économique contrôlée. Des entreprises US en ont largement profité en défrayant la chronique : Apple et Starbuck en Irlande, Amazon au Luxembourg ... Comme pour l'IRA qui peut profiter aux Européens sur le sol US, les aides d'États des pays européens bénéficient également à aux acteurs économiques étrangers qui en profiteront. L'enjeu dépasse les montants financiers. L'accès au marché intérieur européen et ses 450 millions d'habitants, sans barrières douanières, sont précieux.

« Last but not least » comme disent les Anglo-Saxons

Aux aides d'État sont souvent associées les aides issues du budget européen, lequel a pour source de financements les contribuables en Europe. Ces aides aux entreprises, gérées directement par l'UE ou disponibles dans les États et leurs territoires, sont massives. Bien plus importantes en années et montants compilés que l'IRA. Bien évidemment, les USA ayant aussi d'autres dispositifs, la comparaison n'est pas aisée. (Nb. C'est encore pire avec la Chine qui agit dans une opacité efficace). Une publication récente du Parlement européen présente une comparaison des investissements dans la croissance verte : https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2023/739336/EPRS_BRI(2023)739336_EN.pdf

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Reste donc à se saisir de ces aides en Europe... ne serait-ce que pour empêcher des concurrents européens ou non de le faire, notamment en Europe de l'Est et du Sud bien dotée. L'Allemagne a su en profiter largement et cela n'a pas supprimé le moindre emploi sur son territoire déjà sur-industrialisé. Ces dispositifs ont permis aux entreprises allemandes d'avoir des relais de croissance, volume, prix... pour attaquer les marchés américains et chinois avec succès.

Faute de stratégie comparable, la France s'est désindustrialisée. Dans cette guerre économique, rien n'est simple. Il faut apprendre à utiliser toutes les armes. La France qui a tant de qualités - à commencer par la créativité et la compétitivité de ses travailleurs, supérieures à la moyenne européenne - doit se réveiller. Cela demande de travailler ensemble, secteurs public et privé, avec un État puissant et stratège dans et via l'UE, à laquelle nous avons transféré nos compétences en l'espèce.

L'ajustement annoncé il y a une semaine de plusieurs dispositifs d'aides allouées par l'UE en réponse à l'IRA est donc très stratégique, bien au-delà de la question des montants. Il commande de pratiquer l'intelligence économique par l'innovation, le droit, les financements et la stratégie politique.

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Commentaire 1
à écrit le 21/02/2023 à 9:16
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La fin de la publicité dans une politique de l'offre est le moyen de ne plus manipuler le consommateur ! Et le protectionnisme disparaitra...! ;-)

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