« Il faudra négocier avec le Hamas » (Yves Aubin de La Messuzière)

OPINION. Spécialiste du monde arabe, arabisant, ancien ambassadeur de France en Irak et en Tunisie, Yves Aubin de La Messuzière plaide en faveur d’une conférence internationale pour trouver une solution politique.
A Gaza, « qu'on le veuille ou non, c'est le Hamas qui détient le pouvoir, autoritaire certes », estime Yves Aubin de La Messuzière
A Gaza, « qu'on le veuille ou non, c'est le Hamas qui détient le pouvoir, autoritaire certes », estime Yves Aubin de La Messuzière (Crédits : MOHAMMED SALEM)

« Mal nommer les choses, c'est ajouter au désordre du monde. » Je cite souvent cette phrase d'Albert Camus. Il faut définir ce qu'il s'est passé. Cette tragédie totale, ces massacres en masse de civils, ce sont des actes terroristes ignominieux. Ensuite, il faut réfléchir pour comprendre comment nous en sommes arrivés là. Et là, je reprendrai les mots d'Avraham Burg, ce grand humaniste israélien, ancien président de la Knesset, qui fait porter la responsabilité directe de cette tragédie sur Benyamin Netanyahou, parce qu'il a tout fait pour refuser la solution de deux États afin de résoudre la question palestinienne. Un État palestinien au côté de l'État d'Israël.

J'ai vécu six mois dans un kibboutz dans ma jeunesse. Les kibboutz ont évolué, ils ne pèsent plus grand-chose dans la politique israélienne, mais leurs habitants, plutôt à gauche, n'ont rien à voir avec l'idéologie suprémaciste des colons en Cisjordanie. Ces kibboutzniks ont été les premières victimes des attaques.

Le dossier palestinien n'est plus central

Israël est coupé en deux, entre la république de Tel-Aviv, avec sa société de la haute technologie ouverte sur le monde, et le royaume de Jérusalem, où s'exerce une pression religieuse incroyable. Le poids de la colonisation d'inspiration religieuse est devenu extrêmement important. À tel point que l'armée et les services de renseignement se sont concentrés sur la Cisjordanie pour défendre les colons.

Quand je vois les images de ces jeunes partis danser dans le désert à proximité de Gaza, c'est dramatique. Un seul coup de mortier tiré de Gaza aurait déjà suffi à tuer. Quelle irresponsabilité de la part des services de sécurité d'avoir laissé cette fête se tenir.

Depuis les accords d'Abraham [les traités de paix signés en 2020 entre Israël, Bahreïn et les Émirats arabes unis] et la normalisation avec des pays arabes, le dossier palestinien n'est plus central. Dans la société israélienne et dans la communauté internationale, on l'a mis sous le tapis comme de la poussière. Il y avait une fatigue des opinions à propos de ce dossier. L'Europe a été irresponsable... Mais ce dossier est central ! On savait qu'il y aurait des explosions de violence, quand on sent l'humiliation subie, les conditions dans lesquelles vivent les Palestiniens. Je pensais qu'elles auraient lieu en Cisjordanie, à cause de la répression des colons. Par exemple, les colons peuvent aller jusqu'à leur interdire de creuser des puits...

Aujourd'hui, l'État d'Israël n'est pas menacé dans son existence, mais le choc est profond. L'unité totale au sein de la population est compréhensible. Benyamin Netanyahou a promis d'éradiquer le Hamas. « Tout membre du Hamas est un homme mort », a-t-il déclaré. S'ils arrivent à détruire la branche militaire, les Brigades Ezzedine Al-Qassam, ils ne pourront pas détruire la branche politique. Elle ne disparaîtra pas. J'avais rencontré l'aile politique du mouvement en 2009, dirigée par Ismaël Haniyeh, qui ne prônait plus la destruction d'Israël mais la récupération des territoires occupés en 1967. Leur charte a d'ailleurs été modifiée.

Ismaïl Haniyeh vit aujourd'hui à Doha, au Qatar. Il peut circuler facilement. Le mouvement a des contacts avec 30 ou 40 pays ou délégations étrangères.

Qu'on le veuille ou non, c'est le Hamas qui détient le pouvoir, autoritaire certes, mais il est ancré au sein de la société. L'État hébreu a tout fait pour affaiblir l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, installée en Cisjordanie. Pourquoi ? Pour affirmer qu'il n'y a pas d'interlocuteurs pour obtenir cette solution à deux États.

Je ne crois pas à l'ouverture d'un nouveau front à la frontière entre Israël et le Liban. Pour le moment, le Hezbollah a fait des tirs de solidarité. Mais il faut suivre l'évolution de la la situation à Gaza. S'il y a des milliers de morts à Gaza, le Hezbollah pourrait intervenir. Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, « la rue arabe » ne s'est pas soulevée mais ça peut changer.

Il faudrait une pression internationale, américaine, européenne, pour tordre le bras des Israéliens et les forcer à négocier, organiser une grande conférence comme celle de Madrid en 1991 qui avait permis la signature des accords d'Oslo en 1993 entre Israéliens et Palestiniens. La confrontation entre Israël et le Hamas va durer mais une fois qu'elle sera finie, il faudra négocier. Il y a en plus un large consensus dans le monde pour cette solution à deux États. D'ici là, il faut rappeler le droit international, les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU qui condamnent les colonisations.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.