La France pourrait mobiliser des dizaines de milliards d'euros de plus pour la défense !

L’objectif de dépenser 100 milliards d'euros de plus, notamment pour la défense et la sécurité, lors du prochain quinquennat est-il raisonnable ?
Il est dorénavant admis par le « consensus des économistes » que l'investissement de défense est le plus performant économiquement
Il est dorénavant admis par le « consensus des économistes » que l'investissement de défense est le plus performant économiquement (Crédits : ANTONIO BRONIC)

1. L'objection selon laquelle « la France doit avoir les ambitions de ses moyens » peut être retournée.
D
ans une étude publiée le 27 janvier, l'observatoire des conjonctures économiques (OFCE) estime que la France dispose encore de marges de manœuvre budgétaires pour renforcer son plan de relance, en dépit d'une dette publique représentant 120% du PIB. Selon cette étude, l'État pourrait encore augmenter son endettement de 5 points de PIB, et dégager ainsi 100 milliards d'euros afin de financer des investissements publics permettant de relancer la croissance. "Il ne s'agit pas de créer des impôts supplémentaires mais de stabiliser le service de la dette (40 milliards d'euros) dans le budget de l'État, et utiliser cet argent pour des choses utiles (...) et des dépenses non récurrentes", assure Xavier Ragot, président de l'OFCE.

En effet, les taux d'intérêts auxquels l'État emprunte sur les marchés sont très bas et vont le rester à moyen terme, car l'excès d'épargne génère une forte demande pour la détention de titres de dettes souveraines, mouvement accentué avec les politiques accommodantes des banques centrales, facteur secondaire selon l'OFCE. Au cas où les taux remonteraient, l'étude estime que la France pourrait en limiter les conséquences, à un coût faible (quelques milliards) par rapport aux 100 milliards dégagés, en allongeant simplement les délais de remboursement.

L'OFCE identifie cependant deux conditions à la concrétisation de ce projet. L'État doit d'abord améliorer sa capacité à identifier et à réaliser ces investissements, s'il veut réussir à dépenser ces 100 milliards d'euros d'ici 5 à 10 ans. Or "cela fait 20 ans que toute l'administration a comme objectif de réduire les dépenses et les investissements publics". Cette politique audacieuse nécessiterait en outre un nouvel accord politique au niveau européen, afin que la flexibilité sur les règles budgétaires accordées aux États pendant la crise du Covid-19 soient prolongées.

2. Les caractéristiques de l'investissement de défense répondent à la première condition.
Il est dorénavant admis par le « consensus des économistes » que l'investissement de défense est le plus performant économiquement. Il s'agit en effet en France d'un circuit quasiment fermé, dans lequel les « fuites » vers des agents extérieurs sont les plus limitées, du fait de la conjonction de plusieurs facteurs qui trouvent tous leur source dans des exigences de souveraineté liées à la sécurité des approvisionnements : il existe encore des arsenaux étatiques ou para-étatiques (établissements publics comme le CEA ou sociétés nationales non mises en concurrence comme Naval Group) ; l'emploi privé n'est, en pratique, pas délocalisable ; les marchés publics échappent pour la plupart (en valeur) à l'appel d'offres européen ; la R&D de défense (financée majoritairement sur fonds publics) représente 20% de la R&D nationale (ce qui distingue la défense de l'agro-alimentaire par ex).

La base industrielle et technologique de défense (BITD) serait-elle capable d'absorber un tel flux supplémentaire d'investissements ? Pas à court terme, parce que créer des capacités industrielles nouvelles prend du temps, donc d'autres secteurs en besoin d'investissement, comme la santé, pourraient être bénéficiaires en priorité ; mais à moyen terme (trois ans) oui. Autrement dit, en termes budgétaires, il suffirait de disposer les deux premières années d'autorisations d'engagement, les crédits de paiement afférents n'étant mis à disposition de la DGA (Direction générale de l'armement) qu'après. En termes financiers, les décaissements ne seraient donc pas immédiats, ce qui permettrait de lisser le besoin de financement (et l'endettement supplémentaire) dans le temps. En revanche, l'administration (DGA et services de soutien des armées) devra très rapidement se mettre en ordre de marche pour passer les marchés, ce qui supposera de recruter de nouveaux acheteurs.

En termes de besoin, comment dépenser cette manne sans susciter la gabegie ? L'industrie de défense subit depuis une trentaine d'années une logique malthusienne (évoquée par l'OFCE) qui a bridé ses capacités. Changer de logique permettra à la BITD d'investir enfin dans de nouvelles capacités industrielles, encouragée par des débouchés assurés. Tout le monde a en tête par exemple le manque de formes de construction navale de toutes tailles (surtout de grande taille) permettant de construire en France tous les navires dont la marine nationale a besoin. Il est par exemple assez choquant de constater que nos futurs navires logistiques seront pour moitié construits en Italie, après que certains navires de servitude ont été fabriqués en Pologne (dans des chantiers soupçonnés d'utiliser de la main d'œuvre nord-coréenne quasi servile). Certains objecteront le manque de main d'œuvre qualifiée dans des métiers comme la chaudronnerie. La promesse d'embauches fermes (au lieu de contrats d'intérim) et de carrières complètes dans des quasi-arsenaux devraient remédier à un problème dû surtout, selon les syndicats, à l'absence de perspectives.

La crise du transport aérien est par ailleurs en train de tuer la pépite technologique qu'est Safran, qui regroupe notamment les ex-Snecma et Turboméca. Leur redonner des programmes militaires en vue de la motorisation d'aéronefs de la prochaine génération permettra notamment à Safran d'échapper au tête à tête mortifère avec l'allemand MTU dans le cadre du projet SCAF.

De même, dans le terrestre, il convient au minimum de sécuriser la compétence de Nexter en matière d'artillerie, alors que les Allemands viennent de retarder le lancement du projet CIFS. Dans les missiles, il faudra s'assurer que le Brexit n'ait pas pour conséquence de conduire les Britanniques à renoncer au projet FMAN-FMC, auquel cas la France devra s'y substituer (et donc le cas échéant rapatrier en France les centres d'excellence que MBDA a installé outre-Manche).

Chacun sait par ailleurs que l'armée de l'air manque d'avions de combat. Accélérer les livraisons de Rafale déjà commandés, voire ajouter une nouvelle tranche de commandes, bénéficiera à Dassault Aviation et à tout son réseau de sous-traitants français. L'usine de Mérignac est parfaitement capable de doubler ses cadences de production. Dassault a par ailleurs prouvé ses compétences en matière de drones de combat avec le démonstrateur nEUROn. Concevoir un programme français de « loyal wingman » en collaboration avec MBDA permettra à la France de rester au meilleur niveau mondial.

Au-delà des grands maîtres d'œuvre industriels, investir dans le secteur de la défense et la sécurité pourrait aussi se traduire par la prise de participations majoritaires dans les nombreuses PME et ETI qui ont particulièrement souffert de la crise COVID et sont aujourd'hui menacées d'être rachetées par des capitaux étrangers ou vendues « à la découpe ».

Ce sera aussi l'occasion de développer certaines filières de souveraineté pour la fabrication de composants (micro-électronique) ou de matériaux (fibre carbone, alliages à base de titane pour les parties chaudes des réacteurs...) indispensables aux armements futurs, voire de reconstituer certaines filières de souveraineté abandonnées par naïveté (par ex APC, armement et munitions de petit calibre). Quant à obtenir l'accord des autres membres de l'UE, cela résultera vraisemblablement d'un rapport de force, seul capable de faire prendre conscience aux « frugaux », dont la prospérité dépend du marché unique, qu'ils n'ont finalement pas intérêt à s'y opposer. Accessoirement, l'investissement dans la défense permettra à terme de rétablir un certain équilibre vis-à-vis de l'Allemagne au profit de la cohésion européenne.

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(*) Le groupe Mars, constitué d'une trentaine de personnalités françaises issues d'horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l'industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

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Commentaires 23
à écrit le 24/02/2021 à 10:10
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La France n'a plus les moyens de dépenser autant pour sa défense, ce n'est plus la priorité qui doit rester économique, fiscalité, sociale, éducation, transition écologique... L'Allemagne ne dépense pas autant que nous pour leur armée et ne se bat...

à écrit le 23/02/2021 à 13:58
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Vu d'en bas notre armée donne le sentiment d'être, comme notre diplomatie, forte avec les faibles (j'interviens et fait les gros bras dans les pays pauvres ou dévastés par les guerres en Afrique ou au moyen orient) et faible avec les forts (surtout n...

le 23/02/2021 à 15:49
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En Afrique l'armée française à bloqué l'avancée des islamistes. Elle y est bien seule. Attaquer la Russie ? Lol pourquoi faire ? La Russie n'est pas du tout un ennemi !

le 23/02/2021 à 19:53
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@Fredo30400 Yabon l'empire colonial français...

à écrit le 23/02/2021 à 8:22
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Si c'est pour GASPILLER de l'argent comme par exemple avec les survols a basse altitude des avions de chasse qui stressent populations et troupeaux sans qu'on saisisse leur utilité quel est l'intérèt ?

le 23/02/2021 à 9:19
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La défense sert aujourd'hui à défendre les frontières de pays étrangers au détriment de nos propres frontières.

le 23/02/2021 à 23:32
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Pour s'entraîner et le cas échéant défendre tous les ignares et bas de plafond qui pense que nos pilote de chasse ne doivent que voler tres haut....

à écrit le 23/02/2021 à 8:22
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Si c'est pour GASPILLER de l'argent comme par exemple avec les survols a basse altitude des avions de chasse qui stressent populations et troupeaux sans qu'on saisisse leur utilité quel est l'intérèt ?

le 23/02/2021 à 12:17
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C'est tout simplement pour s'entraîner et ainsi être compétent pour le jour où il faudrait le faire "pour de vrai". C'est comme les pompiers, ils passent 80% de leur temps à s'entraîner et à faire du sport pour être parfaitement prêts et compétents ...

à écrit le 22/02/2021 à 21:18
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Pour défendre quoi ?

à écrit le 22/02/2021 à 21:01
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Très très bon

à écrit le 22/02/2021 à 20:08
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Certes tout le monde veut gagner à la loterie, mais de là à prendre ses désirs pour la réalité... ! Non l'Armée de l'Air et de l'Espace (s'il vous plaît) ne manque pas d'avions de combat, mais de transport et de ravitaillement, ainsi que d'hélicoptè...

à écrit le 22/02/2021 à 18:45
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Excellent article. Je ne vois que du positif dans ces propositions. D'ailleurs c'est en partie ce que l'Angleterre est en train de faire. Toutes les études montrent qu'investir dans l'industrie de Défense ne coûte quasiment rien à long terme avec tou...

à écrit le 22/02/2021 à 15:08
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Drôle de loisir de se monter un groupe de réflexions sur ce type de sujet. Moi je serais plutôt tendance groupe de réflexions bounty, vous savez, les révoltés, ceux qui n'apprécient pas de marcher au pas. Vous pensez que moi aussi je pourrais publier...

à écrit le 22/02/2021 à 14:52
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Le paradoxe européen, c'est que plus la France dépensera, moins nos voisins le feront. Nous ne sommes déjà plus que le seule nation à avoir un potentiel militaire important depuis le départ des anglais et il serait temps que nos voisins payent un com...

à écrit le 22/02/2021 à 14:13
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"Empruntons car le staux sont bas en raison de la confiance". Ce que le groupe ne comprend pas, c'est que le taux d'emprunt d'État est très bas non pas parce que les gens ont confiance dans les États, mais bien marce que la BCE maintient artificielle...

à écrit le 22/02/2021 à 13:34
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Investir des milliards d'euros dans la défense à condition que les armements soient 100 % made in France ! Dans ce cas c'est pas une dépense mais un investissement technologique !

à écrit le 22/02/2021 à 12:18
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xavier ragot devrait se demander si les futurs creanciers sont d'accord de preter gratuitement a un pays qui explique sans rire qu'il ne va pas rembourser, et que donc c'est normal que les taux soit a zero ben oui, logique si les gens laissent ca s...

à écrit le 22/02/2021 à 12:18
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La France semble être le seul pays de l'UE contribuant véritablement à la Défense européenne. La France mise 2,3% du PIB sur la Défense, contre 1,2% pour l'Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, l'Espagne et la plupart de nos partenaires (données SI...

à écrit le 22/02/2021 à 11:32
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A ce sacré M Bruno Le Maire. Il nous cachait qu'il avait encore des milliards en poche à distribué. Vous allez voir, ce que vous allez voir retraités. Je n'ai donné aucun milliards à vos caisse de retraite, mais vous n'allez pas regretté ce que je va...

à écrit le 22/02/2021 à 11:17
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« la France doit avoir les ambitions de ses moyens » Je trouve cet phrase marrante, car la France il y a longtemps quelle n'a plus les "moyens" car elle vie que sur des emprunts alors ??????

à écrit le 22/02/2021 à 10:39
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Y aurait il encore quelque chose a défendre en France? Tout est vendu!

à écrit le 22/02/2021 à 8:38
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Nous avons des soldats sur le terrain qui risquent leur vie pour nos riches qui s'évadent fiscalement pourtant, si cet argent doit servir à les protéger on peut en décupler la somme même hein.

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