Difficultés de financement de l'industrie de défense : "Le GICAT a raison à 80%" (Jean-Louis Thiériot, député LR)

À l’issue de quatre mois de travaux, les rapporteurs Mme Françoise Ballet-Blu (LaREM, Vienne) et M. Jean-Louis Thiériot (LR, Seine-et-Marne) de la mission flash sur le financement de la base industrielle et technologique de défense (BITD), ont confirmé lors de la présentation du rapport qu'il y avait bien une frilosité des banques à financer les industriels de la défense. Des banques sous la pression des lois extraterritoriales notamment américaines (risques de corruption), des ONG (risques réputationnels) et des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de bonne Gouvernance).
Michel Cabirol
(Crédits : Pascal Chottin (CC BY SA 4.0))

LA TRIBUNE - La mission Flash sur les difficultés de financement de la Base industrielle et technologique de défense (BITD) par le système bancaire et financier français confirme la frilosité des banques à financer les entreprises de défense. Quel est votre principal constat sur cette situation ?
JEAN-LOUIS THIERIOT - Les auditions que nous avons menées avec Françoise Ballet-Blu, co-rapporteur de la mission Flash, ont confirmé deux tendances profondes qui rythment désormais la vie des entreprises de défense : les règles de "compliance", notamment la loi Sapin 2, renforcent considérablement les exigences imposées aux entreprises et le risque réputationnel est devenu absolument majeur pour les banques. L'éclairage apporté par le BDSV, le groupement des industries allemandes de sécurité et défense, est à ce titre édifiant de ce qui pourrait arriver en France d'ici trois ou quatre ans. Les problèmes allemands sont vraiment des signes avant-coureurs.
Les Allemands sont aujourd'hui dans une situation beaucoup plus critique encore que nous. Il y a eu cette tentative d'exclure de l'indice DAX 30 les entreprises, qui réalisaient plus de 10% du chiffre d'affaires dans le secteur de l'armement. Cette tentative a échoué. Le gouvernement allemand a également mis en difficulté ce secteur en émettant des obligations vertes, des « Green Bonds », pour lesquelles ces industriels ont été exclus. A partir du moment où des États souverains se lancent dans ce type d'opérations, cela devient extrêmement préoccupant pour financer un secteur de souveraineté. C'est une vraie menace que l'on sent poindre.

Pour les banques, quel(s) est/sont le ou les facteur(s) qui pourrai(en)t empêcher de financer une entreprise de défense ?
Indiscutablement, c'est l'extraterritorialité, qui est à la fois un risque juridique dur et systémique. L'énorme amende de 7 milliards de dollars infligée à BNP Paribas a tétanisé tout le secteur bancaire. Les banques veulent se protéger à juste raison contre ce risque. Il y a également cette procédure engagée par une ONG devant la Cour pénale internationale (CPI) contre plusieurs industriels européens qui ont vendu des armes à l'Arabie Saoudite, en guerre au Yémen. Cette procédure, même si elle n'aboutira certainement pas, reste préoccupante. Ce type de procédure représente pour les banques une véritable angoisse en termes de risque réputationnel. Elles ne souhaitent pas se retrouver impliquées dans des mésusages d'armes vendues. Enfin, les critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de bonne Gouvernance) concernent beaucoup plus les fonds d'investissement. Les labels éthiques peuvent aboutir à  des exclusions sectorielles.

Les banques sont-elles conscientes des difficultés de financement des entreprises de défense ?
Les banques ont surtout le sentiment d'être victimes d'une campagne injuste de la part des industriels de l'armement, et en particulier du GICAT. Elles ont exprimé de fortes réticences  à être auditionnées par la mission. Elles n'ont pas souhaité venir individuellement dans un premier temps et ont délégué leur défense à leur organisme professionnel. Finalement, nous avons pu avoir des échanges avec un certain nombre de banques comme BNP Paribas ou la Société Générale, qui ont été parmi nos interlocuteurs les plus ouverts à évoquer cette problématique. Nous avons pu nous dire des vérités sur des blocages existants. Peut être un peu moins que ce que les industriels évoquent.

Pourtant vous citez dans votre rapport le cas de la startup Elika Team, qui n'arrive pas à se faire financer...
... C'est l'exemple même du secteur défense pénalisé par les banques. Et pourtant Elika Team  a une structure à peu près saine avec une vraie ambition. On a l'exemple même des banques qui, parce que c'est le secteur de la défense, n'y vont pas.

Quelle est votre intime conviction? Qui a raison, qui a tort ?
Le GICAT a raison à 80 %. C'est peut être moins grave qu'il ne veut bien le dire mais l'analyse est juste. Car il existe une vraie frilosité concernant le financement de l'exportation vers certains pays. Le GICAT a parfaitement raison de tirer la sonnette d'alarme.

Vous avez testé vos recommandations auprès des banquiers. Sont-ils prêts à jouer le jeu ?
Comme ils estiment qu'il n'y a pas de problème, ils n'ont pas besoin de jouer le jeu, ils le jouent déjà. Sur nos propositions, ils sont prêts à jouer sur tout ce qui n'est pas ou peu contraignant : formation à la compliance, y compris au niveau des PME. En revanche, ils sont opposés à l'idée d'un référentiel de place en raison du secret des politiques commerciales. Ils ne sont pas plus enthousiastes à nos recommandations clés de nommer un médiateur de la défense et de créer des référents défense dans les banques.

ESG, ONG, compliance... On a l'impression d'un mouvement de fond inarrêtable et qu'il sera préjudiciable tôt ou tard à l'industrie de défense. Est-ce votre perception ?
C'est effectivement une tendance lourde, c'est également une menace lourde. Elle touche le cœur même du régalien et l'État se doit de réagir. Pour sauver notre industrie d'armement, qui est indispensable à notre modèle de défense, basé à la fois sur une production nationale et à l'exportation, il faudra, d'une manière ou d'une autre, trouver une structure publique de financement de l'industrie de défense et de ses exportations.

Washington oblige les grandes banques à financer les industries de l'armement, pétrolières... Est-ce transposable en France ?
Quasiment impossible sauf s'il y a un Frexit. Nous sommes contraints par les règlements bancaires européens. Nous devons mettre en place une structure publique, qui finance les industriels de souveraineté. Bpifrance peut parfaitement jouer ce rôle en apportant aussi les garanties de l'État.

Pour financer la BITD, il faut également trouver des solutions pour des entreprises comme Photonis. Quelles sont vos solutions ?
Le cas Photonis est le révélateur de ce qui nous manque. Il faut trouver un outil permettant à des fonds de capital investissement d'entrer et surtout de pouvoir sortir. L'idée est de pouvoir  drainer l'épargne retraite et l'épargne salariale dans des fonds non pas souverains mais dans des fonds de souveraineté de long terme permettant de garder des sociétés comme Photonis. Cela permettrait de lever 5 ou 10 milliards sur de l'investissement très long terme dans les secteurs souveraineté de défense. C'est en milliards que cela se joue alors que la France ne mettre que des dizaines de millions à l'image de Definvest (200 millions). Ce n'est pas mal mais il manque 10 ou 15 milliards.

Dans les conclusions du rapport, vous estimez qu'il faut être plus agressif avec les ONG. Qu'est-ce que vous voulez faire ?
Nous sommes vraiment dans une guerre de l'information. L'État doit avoir également des stratégies de contre-influence. Nous devons faire valoir que la souveraineté est également un enjeu ESG au même titre que les enjeux environnementaux et écologiques. L'opinion est attentive et réceptive au concept de souveraineté. L'industrie de défense doit effectuer un travail de communication vis-à-vis de l'extérieur. Je pense qu'il y a vraiment un discours audible sur la souveraineté : de la robustesse de notre industrie de défense dépend notre autonomie stratégique et, in fine, notre souveraineté.

Michel Cabirol

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Commentaires 2
à écrit le 18/02/2021 à 9:50
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Ah si Benjamin avait soutenu la BITD, cela aurait certainement mieux fonctionné non ? :-) Oui oui je sais mais bon hein à un moment quand on offre le bâton pour se faire battre hein... Enfin le "bâton"... ^^

à écrit le 17/02/2021 à 14:56
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Une solution : un Bpifance Défense, rien que défense, de la R&D des startups aux contrats industriel ?

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