Un café avec… Claudio Murri, vice-président Affaires publiques de Time Warner Europe

Au moment où le dernier opus d'Harry Potter produit par la Warner Bros sort sur les écrans français et belge, le Blogeurope a rencontré Claudio Murri, Vice-président Affaires publiques Europe de Time Warner. Cet Italien arrivé il y a plus de 10 ans dans les valises d'IBM a fait toute sa carrière auprès de multinationales américaines et a présidé la Chambre de commerce américaine auprès de l'Union européenne sans avoir jamais été en poste aux Etats-Unis. Il est probablement l'un des lobbyistes les plus expérimentés de la place. Retour d'expérience.

Planter devant sa porte une statue grandeur nature de Batman et accrocher au mur un poster géant d'un Clint Eastwood balafré et grimaçant coiffé d'un stetson poussiéreux pourraient avoir de quoi vous faire passer pour un inquiétant dilettante auprès de vos visiteurs. Le vice-président de Time Warner Europe ne court pas ce risque puisqu'il ne fait qu'exposer ce faisant les productions maison.

Claudio Murri est venu à l'industrie culturelle sur le tard, après vingt ans passés dans la fine fleur de la high-tech américaine. En 1998, il arrive à Bruxelles pour IBM, pour qui il a travaillé en Italie et au Japon. « Entre nous, nous disions que les trois lettres de l'entreprise voulaient dire «I've Been Moved ». Ils avaient cette tendance à bouger les gens rapidement. Je connais beaucoup de gens qui sont venus ici en pensant que c'était temporaire et ils sont restés pour le reste de leur carrière. C'est ce qui m'est arrivé. J'ai refusé la mutation suivante, aux Etats-Unis, et en définitive j'ai quitté IBM pour rester ici ».

Quand il arrive à Bruxelles, la réglementation des logiciels et la propriété intellectuelle sont la priorité du géant informatique américain. "

C'était une période étrange. La société n'était pas aussi impliquée dans l'open source. L'idée même d'open source restait méconnue. La question était de savoir quel accès à nos systèmes il fallait donner à nos concurrents. C'était déjà une question d'interopérabilité des systèmes. Aujourd'hui tout le monde parle de "cloud computing". Cela va-t-il être un grand nuage interconnecté ou va-t-on vers le développement d'un tas de nuages propriétaires fermés qui ne se parlent pas? Ce n'est pas encore tranché. C'est amusant que ces problèmes, 20 ans plus tard, soient toujours là

». Microsoft, qui se débat depuis une décennie avec l'autorité européenne de la concurrence sur ces sujets est bien placé pour le savoir.

Recruté par Electronic Data Systems (EDS), la société pionnière de la prestation de services informatiques fondée par Ross Perot, Claudio Murri y prend la mesure du travail à faire pour faire prendre la mesure des pouvoirs de l'Union européenne et des enjeux communautaires à ses patrons texans.

"Le public a tendance à nous voir comme des gens qui tentent d'influencer la Commission ou le Parlement ou les autres institutions avec notre propre agenda. Ce qui est évidemment en partie vrai. Mais beaucoup du travail que nous faisons est en réalité exactement l'inverse. On essaye de communiquer avec nos états-majors aux Etats-Unis. Les entreprises européennes ont le même problème, car je ne crois pas que des états majors basés à Berlin, Paris ou dans n'importe quel autre capitale en Europe ait réellement une idée claire de ce qui se passe ici

".

A l'époque, on prépare l'introduction de l'euro. Mais le siège européen d'EDS, situé au Royaume-Uni, ne prend pas la chose très au sérieux. «

Ils voyaient cela comme un truc européen qui allait probablement échouer. Mais j'ai insisté sur le fait que nos clients allaient devoir changer leur comptabilité, leurs logiciels. Passer de leur monnaie locale à l'euro était un immense projet. Eux se concentraient sur le fameux défi du passage du millénaire. On s'attendait à un immense bug informatique à cause du passage à l'an 2000. J'y suis allé et je leur ai dit : 'si nos clients doivent changer pour de bon leurs systèmes et que nous n'avons rien d'autre à leur dire que : l'euro, cela ne marchera pas, à votre avis, ils vont nous confier le marché à nous ?' Finalement on s'y est mis sérieusement

».

La même chose se produit au sujet de la protection des données personnelles, un sujet de tension transatlantique majeur à la fin des années 1990, car les Européens avaient adopté une ligne beaucoup plus protectrice que Washington. «

Il fallait les convaincre que ce n'était pas quelque chose que ces fous à Bruxelles étaient en train d'essayer de mettre en place. D'ailleurs, en pratique, 10 ans plus tard, les questions de protection des données personnelles refont surface aux Etats-Unis

».

Il fait ensuite un passage éclair chez Oracle avant que Time Warner n'en fasse l'un de ses vice-présidents. «

J'aurais aimé travailler pour une entreprise européenne pour voir les dossiers depuis l'autre côté. Mais je n'ai pas pu. C'est le propre de la compétition. Parfois vous gagnez, parfois vous perdez

». Est-ce d'ailleurs vraiment plus difficile de travailler pour une entreprise américaine ?  «

Tout dépend de l'industrie d'où vous venez et du service auquel vous vous adressez à la Commission

», dit-il. Et d'ajouter : «

Nous sommes une industrie mais nous opérons aussi dans un domaine qui est celui de la culture. On ne peut pas raisonner comme pour des chaises ou un lecteur de CD. Il y a en Europe un consensus sur l'idée qu'il doit y a avoir des mesures en place pour favoriser et défendre spécialement les cultures plus petites et plus vulnérables. Qu'il y ait des lois qui disent en Europe que 40 ou 50% des contenus proposés à la télévision doivent être locaux, cela veut-il dire que les producteurs non européens sont moins bien traités que les autres?  Tout dépend. Je pense qu'il y a de bonnes raisons pour que les choses soient ainsi

».

A ses yeux, Time Warner a embrassé la philosophie européenne de la diversité et du multiculturalisme, quitte à adapter son modèle économique. "

Aux Etats-Unis, vous pouvez investir et avoir immédiatement un retour sur un marché de 300 millions de personnes. Des produits audiovisuels dans une langue qui n'est parlée que par 5 ou 6 millions de personnes n'ont évidemment pas cette faculté

», constate-t-il. Et d'ajouter : «

si nous investissons dans ces films aussi, nous aurons cependant un retour. Nous le faisons en France, en Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas, au Danemark, dans la plupart des pays qui ont une forte tradition cinématographique. Ce n'est pas nouveau. Warner Bros était déjà présent en France en 1921

». Reste que, bizarrement, dans ce caléidoscope culturel européen, les films américains se disputent avec quelques rares séries brésiliennes le privilège d'être les seuls programmes vus par tous les Européens.

L'influence s'exerce-t-elle différemment quand on n'est pas européen ? «

D'une certaine manière, les entreprises américaines sont les vraies entreprises européennes. Et les entreprises européennes sont en vérité encore beaucoup des entreprises nationales. Si vous êtes un producteur d'automobile allemand, par exemple, c'est tellement facile de retourner vers votre gouvernement national pour défendre votre intérêt en Europe parce que, particulièrement pour les grands pays, ce gouvernement jouit d'une grande influence ici. Cela dit les grandes entreprises européennes sont en train de devenir multinationales à leur tour. Elles recrutent des gens ici à Bruxelles et diversifient la nationalité de leurs recrues. Reste que nous n'avons pas le filet de sécurité national. Nous avons du développer un réseau partout sur le continent. Si la personne clé sur une législation donnée est finnoise, on  ira la voir. En même temps, un grand nombre d'entreprises américaines ont des bases de production et de recherche dans de nombreux pays. Ils ne se concentrent pas seulement sur un pays. Le marché intérieur est réellement important pour elles. Si vous regardez la directive services ou la directive e-commerce, les entreprises qui se battent réellement pour le marché unique sont pour l'essentiel des entreprises américaines. Je me souviens que sur la directive services une grande entreprise française que je ne nommerai pas m'a dit : j'aimerais bien lobbyer avec vous mais alors le gouvernement français sera fâché contre moi parce qu'ils sont contre cette directive. Donc ils sont restés à l'écart

».

Tous les deux ans, l'AmCham part en mission à ... Washington. Objectif : le Congrès et l'administration. Les « messieurs Europe » d'Oracle et autres Dow Chemical se transforment en lobbyistes de l'Union européenne. «

Ils n'autorisent pas leurs confrères basés à Washington à participer aux réunions pour se concentrer sur les questions européennes. Et très souvent, les membres du Congrès sont très surpris. Ils s'attendent à ce que l'on vienne leur demander de les aider à combattre l'Europe. Au lieu de quoi ils entendent parfois : vous devriez vous pencher sur telle réglementation européenne, elle est utile

». Les Européens, de leur côté, organisent encore leur lobbying à Washington sur une base encore très nationale et peu européenne.

Claudio Murri se veut «

optimiste

» quant à l'avenir de l'intégration et ne croit pas à une renationalisation brutale des politiques européennes. «

Les Etats membres participent beaucoup plus activement

» au travail européen qu'il y a 10 ans, dit-il. «

Regardez le paquet Télécoms : les Etats membres considèrent que la position du Parlement n'est pas acceptable. Ils vont prendre le temps d'y revenir même si la Commission aurait préféré avancer plus vite. Bien sûr cela ralentit le processus. Mais cela l'améliore également

». Plutôt que le verre à moitié vide, il préfère voir le verre à moitié plein, prendre acte du travail accompli et regarder loin devant. «

Les gens sont un peu impatients. Si l'on pense qu'il y a 60 ans, les gens se tiraient dessus. Et maintenant on est en train d'édifier quelque chose ensemble, ce qui n'est pas facile. Nous faisons face à des questions difficiles. Faut-il faire rentrer ou non la Turquie? On ne peut pas enjoindre les Européens de trancher cela du jour au lendemain. En 5 ans, nous avons connu l'arrivée de 12 nouveaux pays... Imaginez que l'on ait dit aux Etats-Unis : à partir de maintenant vous englobez aussi l'Amérique centrale ! On ne peut pas surestimer ce qui a déjà été fait

». Et d'ajouter : «

l'Europe est là pour rester

».

F.A.

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